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Catégorie : #old

Tout ce qui datait d’avant.

Le goût de la victoire

J’ai gagné, les mecs. Et franchement j’y croyais pas.

J’vous raconte.

Tout commence au départ par mon prêt pour acheter mon appart.

Long story short, je change de banque.

TADAM

Après six mois, je me décide enfin à fermer mon compte à la HSBC qui me coûte tout de même 8 euros par mois. Reste sur le compte 75,87 euros. J’appelle la HSBC, bonjour Monsieur, bonjour HSBC, j’veux fermer mon compte, bien sûr monsieur, comment que je récupère mon fric, bah euh… L’idée, c’est qu’on va à la banque, on leur dit : “Fermez mon compte” et paf ! Ils te filent ton fric.

J’vais donc à la HSBC (ça fait un peu L’amour est dans le pré mes abréviations, j’arrête). Je vais donc à la HSBC qui me dit :
“bien sûr monsieur, mais on a un problème.
– De quel ordre est-il ?
– On n’a pas de caisse.
– C’est pas de pot.
– Oui, donc, on peut donner que des billets, pas de monnaie.
– Et ?
– Bah on peut donner 75 euros, mais pas 87 centimes.
– Ah, c’est pas de bol.
– Non, ce sont des centimes.
– Alors on fait quoi ?
– On peut vous virer le reliquat sur votre nouveau compte.
– Ah bah oui, on peut faire ça.
– C’est quoi votre compte ?
– C’est ça.
– Ok, très bien.
– Considérez que c’est fait.
– Merci, madame HSBC.”

Trois semaines plus tard, enfin, l’argent est versé. 72,12 euros. “WTF”, m’écris-je intérieurement, “c’est quoi ce manque à gagner de 3,75 euros, je vais pas me laisser faire”. Je parcours la brochure commerciale : il s’agit de frais de virement sur un autre compte.

Mon sang ne fait qu’un tour, je saisis ma plus belle plume et rédige une lettre particulièrement remontée :

Objet : Erreur lors d’une fermeture de compte

Madame, Monsieur,

J’ai été pendant plusieurs années à la HSBC, j’ai quitté votre banque dans le cadre d’un projet immobilier plus intéressant ailleurs.

J’ai donc demandé la fermeture de mon compte courant n°0091XXXX. Celui-ci était créditeur le jour de la fermeture du compte de 75,87 euros. Le compte a été fermé début juillet, et trois semaines plus tard, mon nouveau compte a été crédité d’un montant de 72,12 euros. Soit 3,75 euros de moins que ce qu’il y avait sur mon compte le jour de sa fermeture.

Or, lorsque j’ai demandé la fermeture du compte, il m’a bien été précisé qu’il n’y avait aucuns frais de clôture. D’où ma surprise. Pourquoi 3,75 euros se sont-ils perdus dans la nature ?

Une seule conclusion me semble possible : une erreur de vos services qui se sont malencontreusement trompés.

Je vous saurais donc gré de virer les 3,75 euros manquant sur mon nouveau compte en banque :
Merci par avance.

Précision : merci de ne pas me répondre qu’il s’agit de « frais de virement », car j’ai voulu récupérer la somme directement chez vous, où on m’a répondu qu’en raison des « 0,87 cts d’euros », on ne pouvait pas me donner la somme en liquide : « la banque ne dispose pas de caisse » m’a-t-on dit. Le virement était l’unique solution. Je n’ai pas à payer pour les choix politiques de votre société.

Un fax, une lettre, deux fax, deux lettres où j’explique que j’apparente cette facturation à du vol et que je suis prêt à dépenser plusieurs centaines d’euros pour obtenir gain de cause. L’emmerdeur.

Pas de réponse. Et deux semaines plus tard, sur mon mail, je reçois la réponse de ma banque :

Cher Monsieur,

Par votre courrier du 09/08/2012, vous exprimez votre mécontentement face à la facturation des 3,75 euros pour le virement que nous avons effectué suite à la fermeture de votre compte.

HSBC met à la disposition de toutes ses agences et de ses clients, une plaquette des frais que nous appliquons.

Il ne s’agit donc pas “d’un vol” comme vous le stipulez dans votre courrier, car nous vous avons envoyé un relevé détaillé suite à ce virement.

Concernant votre demande de retrait: en effet, l’agence ne possédant pas de “caisses”, ceci était la seule solution.

De plus, je tiens à préciser que cette facturation n’est pas liée à votre clôture de compte, mais à un virement effectué vers une banque autre que HSBC.

Par conséquent, nous regrettons de devoir vous informer que nous ne pouvons vous rembourser ces frais, s’agissant d’une facturation dont nous vous tenons informée dans nos plaquettes, sur notre site internet ou encore dans les relevés envoyés.

Nous vous prions de croire, Monsieur, en l’expression de nos sentiments les meilleurs.

Cordialement

Mon sang fait deux tours.

Et je réponds, parce que je suis joueur :

Madame, messieurs.

Non, le virement n’était pas la seule solution.

Vous auriez pu me proposer de me faire un chèque à moi-même que j’aurais encaissé dans ma nouvelle banque. Bien sûr, on a oublié de m’en parler. Or, vous m’avez demandé l’intégralité de mes moyens de paiement le jour même de mon passage en agence, ce qui m’a empêché de procéder à cette opération.

Ce n’est pas honnête, c’est tout.

De plus, excusez-moi de ne pas connaître l’intégralité de vos tarifs en vigueur. Votre plaquette fait 19 pages, j’ai d’autres choses à faire de ma vie (par exemple, vous envoyez des courriers) que de les apprendre par cœur. La personne à l’accueil le jour de la fermeture de mon compte aurait pu, me semble-t-il, me le préciser à nouveau.

Tiens. Je vous propose un petit jeu. Fermez votre plaquette et dites-moi à combien s’élèvent les frais facturés par la HSBC dans le cadre d’un ordre supérieur à 1 500 euros, mais inférieur à 2 350 euros passés sur Internet quand on possède un forfait HSBC Invest ? Vous avez 30 secondes de réflexion (1).

Mais, ce n’est pas qu’il y ait 3,75 euros de frais de virement de votre banque vers une autre qui me dérange (même si, à mon sens, cette facturation est prohibitive), c’est qu’il m’ait été obligé d’avoir recours à cette méthode pour fermer mon compte.

Et, de fait, si le virement, comme vous l’écrivez ci-dessous, est “la seule solution” lorsqu’on ferme son compte, ces frais de virements sont donc des frais induits par toute fermeture de compte !

Comme je ne savais pas que vous me répondriez, j’ai renvoyé hier un courrier à mon conseiller, au directeur de l’agence et également un courrier de réclamation à la direction générale de la HSBC, sise avenue des Champs Élysées.

Et, je pense que le temps que je vous fais perdre à me répondre coûte bien plus à la HSBC que les 3,75 euros que je réclame.

Avec toute ma considération,

Romain

(1) 0,64% du montant de l’ordre.

J’étais chaud bouillant. Autant dire que ma considération, ils pouvaient se la mettre dans le cul.

Deux jours plus tard je reçois ce courrier de consécration. Que dis-je ! La victoire des petites gens sur les grands de la Finance Internationale. Quelque part, j’ai fait tomber Madoff ! Et j’imaginais intérieurement le directeur de l’agence fulminer dans son bureau rien qu’à l’idée de devoir payer à ce connard de Romain 3,75 euros.

5dtlz

Moralité : faites chier vos banques.

J’ai – je le reconnais – jubilé. Et ce n’est pas Elizabeth qui me dira le contraire.

Déménagement en enfer

La première décision à prendre lorsqu’un déménagement se profile à l’horizon c’est de savoir si on va tanner une fois de plus ses potes pour descendre du troisième étage la machine à laver et sécher le linge, celle qui pèse quatre tonnes et demie, qu’on s’est offert avec son premier salaire afin de sortir enfin de la condition infamante de l’être humain qui amène ses vêtements au Lavomatic de la rue de Charenton ou Dugommier, suivant l’endroit où il habite dans le douzième arrondissement de Paris.

Dieu sait que j’ai sollicité plus d’une fois les bonnes volontés – tout comme elles m’ont sollicité – pour remplir un camion Europcar à moins d’un euro / jour comme le promet la pub, sauf que le jour où on le loue c’est 99 euros la demi-heure (et l’essence n’est pas comprise), avec des caisses de DVD jamais vus, de livres jamais lus, de CD jamais écoutés et une vaisselle innombrable qui n’a jamais vu la trace d’un moindre aliment.

Cette fois-ci, je m’étais imposé une contrainte : trouver dans la somme d’argent considérable que la banque comptait me prêter pour financer mon achat un fonds de soutien à la survie du petit artisanat, à savoir trouver de quoi payer un déménageur. 800 euros sur 130 000, ça devait être jouable quand même.

Ni une, ni deux, mon petit cœur ballant et moi nous sommes mis à la recherche du meilleur rapport qualité-prix et pour ce faire, j’ai appelé les seuls amis que je connaisse qui ne fussent jamais assez fortunés pour se payer le luxe de recourir au service d’un déménageur. Et voici qu’il me conseille Machin qui vient, qui est super sympa, mais qui ne transporte pas les pianos. Or, de piano, il y en a un, et je n’ai pas l’intention de le porter en raison de ma discopathie L5-S1 – Touché, il a encore coulé mon porte-avions – et de son poids.

Finalement, je me rends sur internet pour trouver un déménageur prêt à tout faire en deux temps trois mouvements.

Et je tombe sur la société Niagara Déménagement (en fait, ce n’est pas Niagara, ce sont d’autres chutes fort célèbres). J’appelle et rendez-vous est pris avec M’sieur Guéridon, commercial de son état, speed de nature, qui – hop, hop, hop – estime à 20 le cubage à la louche. La négo commence, et j’arrive à 1100 euros pour le transport du bazar avec le piano. On discute sur le « portage », opération qui consiste à estimer le nombre de mètres que les déménageurs doivent parcourir pour se rendre depuis le logement jusqu’au camion, je l’informe qu’il y a un ascenseur, mais que le piano ne rentre pas dedans. « Pas de problème, monsieur, on part sur une base formule éco, ça vous fait 1096 euros parce qu’aujourd’hui, on fait promo sur les cartons donc je vous les compte pas », « c’est bien aimable à vous », que j’y réponds.

En une petite demi-heure, l’affaire est bouclée, il s’en va dans sa petite Twingo avec mon joli chèque de 30% à la commande. Et ne reste plus qu’à attendre.

Le 2 avril, trois semaines plus tard, c’est le grand jour, tout est dans les cartons. J’avais appelé trois fois Guéridon, mais d’un coup, depuis qu’on avait conclu le biz, je le sentais lointain, plus le pote à la vie à la mort du jour de la signature. J’y demande : « Alors, faut que j’emballe les meubles qui rentre pas dans les cartons que vous m’avez donné ? » « Non, les déménageurs s’en occuperont », qu’il me dit, histoire de me rassurer.

Ok, ok.

7h00.

On sonne à la porte.

C’est Mamar. Il n’a pas inventé le fil à couper le beurre, en même temps, ce n’est pas pour ses compétences intellectuelles qu’il est ici. Un dialogue d’une haute portée philosophique s’installe entre nous :

– Bonjour m’sieur, on est les déménageurs.
– Sans blague. Vous êtes tout seul ?
– Ah, ah. Non, mes collègues sont dans le camion, mais moi, j’ai pris le métro, je suis arrivé avant eux du coup.
– D’accord.
– Alors, y a quoi à prendre ?
– Bah… Tout ce qu’il y a dans l’appartement.
– Ah oui, très bien. Je peux utiliser vos toilettes ?
– Oui, ils sont là.
– Merci, m’sieur.

Dix minutes plus tard, la chasse d’eau est tirée et l’homme en sort avec un air soulagé (tandis que dans les chiottes, l’air est chargé).

Bon, bon, bon…

Une demi-heure passe.

– Ils ne vont pas arriver vos collègues ?
– Si, mais y a de la circulation.
– En même temps, c’est souvent comme ça à Paris, le matin.
– C’est ça le piano qu’on doit prendre ?
– Oui.
– Et, comment que je veux dire, y a un ascenseur ?
– Oui, mais le piano ne rentre pas dedans.
– Vous êtes sûr ?
– Je crois oui.
– Vous n’êtes pas vraiment un spécialiste.
– Non, mais vu qu’il ne supporte qu’une charge de 250 kilos et que le piano en pèse 300, je pense que ce n’est pas la bonne idée d’essayer.
– On verra.
– Vous verrez.
– Bon, je vais commencer à sortir les cartons.
– Bonne idée. J’ai un diable si vous voulez.
– Un diable ? Ah non, on fait tout à la main, nous. On bosse pas pour Darty ! (il rit)

Ça doit être une blague de déménageurs.

– Comme vous voulez. C’était juste pour vous dire.
– Faites le voir quand même.

Et le voilà qu’il sort trois cartons par trois cartons grâce à mon super diable quand ENFIN ses collègues arrivent.

Là, donc, faut imaginer, le premier qui était là, Mamar, c’est une grosse boule, grosse masse, petit cerveau. Le second qui arrive ressemble à un champion de kickboxing, c’est le chef. Et il est boxeur. Le troisième larron, c’est le professeur. Lui, il est sec comme un haricot et a des lunettes. Voici donc mon équipe de choc de déménageurs. Et là, l’enculage commence en profondeur : d’abord on lubrifie, ensuite on pousse la merde.

– Salut ma couille, tu bosses pour Darty ?, dit le boxeur à La Boule qui continue ses allers / retours avec mon diable. (Tous rient)
– Ah, t’es con. Voilà, c’est le m’sieur qu’on déménage, mais attends, c’est Guéridon qui a fait le deal.
– P’tain, Guéridon, c’est un vrai connard.
– Il a dit qu’il y avait 20 m3.
– Jamais de la vie. Y a au moins 5 m3 de plus.

J’interviens :
– Il y a le piano aussi.
– Ah non, le piano, on nous l’avait pas dit, me répond le chef boxeur.
– Bah euh si. C’est marqué sur mon devis.
– Oui, mais on doit le monter par l’ascenseur.
– Bah, je ne crois pas qu’il va rentrer dedans.
– Ah, je vais me le faire ce Guéridon. C’est vraiment un connard de première. Il veut l’affaire, il brade le prix et après c’est à nous de galérer pour rien.
– Euh…
– Il vous a dit que ça coûterait combien ?
– 1096 euros.
– L’enfoiré. Et en plus, il y a du portage.
– Je sais, mais il l’a écrit : 30 mètres au départ, 40 mètres au retour.
– Moi, on m’a rien dit.
– Mais sur mon devis, c’est écrit.
– Non, mais ça n’a pas de valeur, ce devis.
– Ah.

Une certaine vague de chaleur commence à me monter sur le bord de la figure. Tandis que je discute avec le patron, les autres s’activent pour commencer à ranger le camion. Quand soudain, un meuble les interpelle.

– Mais, vous l’avez pas protégé, le meuble là ?
– Bah non. (Et j’ajoute d’une voix presqu’éteinte) Guéridon m’a dit que vous vous en chargiez.
– Mais vous savez, c’est la formule éco que vous avez prise. Nous, on prend les cartons et on les jette dans le camion. Bon, allez, comme vous avez été sympa avec Mamar, je vous l’emballe, mais ça coûte au moins deux fois plus cher.
– Juste pour un meuble ?
– Oui. Mais franchement, là, y a un souci. On nous avait pas prévenus du piano et du portage et le cubage est plus élevé qu’il n’a été estimé.
– Et ça se passe comment, alors ?
– Je vais vous expliquer : moi, si y a un truc qui n’est pas comme on m’a dit, je dois appeler mon patron, mais alors il vous charge très très cher.

Ok. Donc, il va falloir rallonger la sauce. Je suis de mauvaise humeur intérieurement, mais je ne sais pas trop comment m’y prendre pour que le déménagement se passe bien et que je n’y perde pas la moitié de mon mobilier.

– Mais je ne veux pas payer plus.
– C’est comme ça, me dit Mamar « la Boule », c’est la faute à Guéridon.
– Non, mais laisse tomber, ma caille, Guéridon, j’vé m’le faire, reprend le boxeur, sa litanie favorite semble-t-il, en même temps qu’il tape son poing dans sa paume opposée.

J’ai super chaud. Et pourtant, je ne bouge pas.

– Non, mais, c’qu’on peut faire, comme Mamar, il m’a dit que vous étiez sympa, c’est s’arranger entre nous, voyez.

Je vois super bien.

À ce moment de l’histoire, il convient de préciser que dans un élan de générosité, j’avais prévu 60 euros de remerciements aux déménageurs.

– Donc, votre piano, là, vous savez combien ça coûte de le transporter tout seul ?
– Bah oui, je sais, j’ai un transporteur pour le piano d’habitude, c’est 300 euros en gros.
– Voilà, c’est 300 euros. Minimum.
– Mais, moi, il est marqué sur le devis, le piano, je vais pas le repayer !
– Non, mais le devis, c’est de la merde. Vous voulez que le déménagement se passe bien, non ? En plus, on a emballé un meuble, et ça c’est la formule luxe et vous avez payer que l’éco.
– Oui, bon, mais je veux bien vous donner un peu, mais je n’ai pas grand chose.
– Combien vous pouvez ?
– Euh… 150 euros ?

Ça me semblait déjà totalement déraisonnable, mais puisqu’ils avaient emballé un meuble…

– Mamar, dit le boxeur, le monsieur il nous insulte, là. Il veut nous donner 150 euros.

Puis il se retourne vers moi.

– Je veux que vous compreniez que c’est pas pour moi, on va partager ça à trois. C’est pas un arrangement entre moi et vous, vous comprenez ?
– Je comprends, oui, oui.

Mamar « La Boule » répond au boxeur, l’air écœuré :

– C’est toi le chef, tu décides si c’est assez.

Le chef se retourne vers moi et j’en mène pas des masses au milieu des cartons. Tous les scénarios passent dans ma tête : ils cassent mes affaires, ils partent avec, ils reviennent fracturer mon appartement – c’est facile, ils savent où j’habite -, eh merde, pourquoi je me fais toujours baiser par la terre entière ? Mon ancêtre, c’est pas homo sapiens, c’est homo credulus, ça fait chier à la fin.

Je tente un timide : « 200 ? »

Ça calme la bête qui était déjà en train de monter sur le ring pour m’exploser le beignet.

– Ok, les gars, on termine, conclut le chef.

Rapide calcul dans ma tête : c’est quasi 20% de plus que ce que je devais payer.

– Vous m’excuserez, je dois aller au distributeur bancaire.
– Comme vous voudrez, m’sieur.

J’hésite à appeler Guéridon. Mais, j’ai peur qu’il ne soit de mèche avec eux. Genre : « Ouh là, c’est cinq cents euros de plus, mon brave homme ! ». Ou bien, pire, il appelle le chef qui rappelle les déménageurs. Et là, je vois déjà mes cartons en miette dans la cour de l’immeuble, en train de brûler dans un grand feu de joie. Mon imagination est parfois un peu handicapante.

« Fais le dos rond, Romain, le dos rond », me dis-je.

Enfin, le chargement est effectué. Mamar « La Boule » revient avec mon diable : « On peut vous le prendre ? ». Sans aucun sens de l’humour, je lui réponds : « Pourquoi ? Vous bossez chez Darty ? »

Une fois arrivée sur le lieu de la livraison, la loi de Murphy, implacable, continue sa route.

– Non, mais ils avaient pas dit qu’il y avait six marches dans le portage !, s’agace le boxeur.
– Encore un coup de Guéridon, dit la boule.

L’intello, lui fume des clopes sur le trottoir. Comme il en a plus, il me demande si je peux aller lui en acheter. Il me file vingt euros pour ça. J’ai envie de pleurer. Quand je reviens avec ses trois paquets. Je lui rends ses vingt euros. Qu’est-ce que ça peut changer, finalement ?

Enfin, les cartons arrivent dans le nouvel appartement. ENFIN, putain. Enfin, je vais bientôt être libéré de ses tortionnaires. Joie, joie, joie.

Tout se passe bien quand arrive le gros morceau : le piano. Les mecs ne savent pas du tout porter un piano. La boule veut le soulever toute seule. Elle refuse de prendre les sangles et termine au bout de deux marches rouges comme une pivoine. Le chef l’engueule : « Tu vas te briser la colonne, ma caille ! » Ça peste contre ce connard de Guéridon qui avait dit que ça passait par l’ascenseur (ou pas, je finis par ne plus trop savoir de qui est-ce la faute), je me retiens de leur dire que « Non, je lui avais dit que ça passerait pas par l’ascenseur ».

Voilà.

Tout y est.

Le boxeur me dit : « Bon, c’est pas que je veuille abuser » (parce que t’appelais ça comment avant ?), « mais bon, si vous pouvez donner un peu plus, rapport au piano qu’était vraiment lourd ».

Je donne 220 euros de « supplément ». « C’est tout ce que je peux faire », réponds-je avec forte lassitude, « maintenant partez ».

– M’sieur, pour le réglementent du solde…, commence le boxeur.
– Ah oui, je vais vous faire un chèque.
– Oui, rapport au chèque…
– Oui, eh bien ?
– Mon chef ne veut que des chèques sans bénéficiaire.

WHAAAAAT THE FUCKKK ?

– Pardon, j’ai pas compris ?
– Oui, vous ne mettez pas pour Niagara Déménagements dessus.
– Mais, euh… pourquoi ça ?
– C’est comme ça qu’on fait dans les déménagements. C’est votre premier, non ?
– Euh, oui, enfin, non, mais quoi qu’il en soit, je vois pas le rapport.

Et là, le boxeur me sort dix chèques qu’il avait récoltés tout au long de la semaine, aucun n’a de bénéficiaires.

– C’est ma meilleure garantie : regardez, tous les chèques sont comme ça.

Je reste sans voix. Je rédige le mien. Qu’ils partent, c’est la seule chose que je veux, là, tout de suite.

Mais vite.

– Alors, euh… Je vous laisse le remplir ?
– Voilà.
– Vous me donnez un papier comme quoi j’ai payé ?
– Bah ? Pourquoi faire !
– Bon, attendez.

Je sors le devis, j’écris : « Réglé pour solde de tout compte la somme de 767 euros », je signe et réclame au chef boxeur : « Vous pouvez signer ? ». « Pourquoi ? » « Parce que je vous le demande s’il vous plaît ».

Il signe, prend mon chèque, ses compagnons s’approchent de la porte, le calvaire va prendre fin, je veux me jeter par une fenêtre, appeler Guéridon, insulter le monde entier de mon insolente crédulité, quand le boxeur m’achève : « Au fait, mes gars et moi, on fait des petits boulot à côté : si vous refaites un déménagement, plutôt que de passer par la société, on peut s’arranger entre nous. Il y a eu un bon feeling entre nous, non ? On vous laisse notre numéro ? »

Je m’étrangle intérieurement, sors mon portable. « Alors, oui, bien sûr, je vous écoute ».

Le Cauchemar de Babette

Le cerveau est une machine formidable. J’avais déjà évoqué il y a bien longtemps, quand j’avais du temps pour écrire sur ce zloug (c’est le nouveau nom des blogs en 2012), mes deux neurones, Pilaf et Jerry. Ils sont taquins.

Car depuis quelques semaines, j’ai retrouvé une belle sensation que je n’avais pas éprouvée depuis mes 19 ans quand j’ai commencé de passer mes concours de prépa.

À l’époque, on avait une quinzaine de concours en trois semaines. Et il fallait être particulièrement concentré pour se lancer dans une épreuve de quatre heures de maths à coups d’équations différentielles, de démonstrations si le sous-groupe est ouvert, de théorème de Bolzano-Weierstrass. Et j’en passe. De toute façon, j’ai tout oublié. Ce qui est dommage vu comme j’en ai chié pour apprendre toutes ces conneries.

Or, pendant ces concours, du matin au soir, j’avais systématiquement ça dans la tête en boucle :

C’est une chanson de West Side Story, et c’est pas la meilleure.

Eh bien, croyez-moi, au bout de deux heures à réfléchir sur des sujets aussi captivants que la mécanique des fluides ou la physique quantique avec ces 30 secondes musicales dans la tête, ça donne juste envie de s’enfoncer son stylo dans l’oreille pour se lobotomiser à moindres frais.

Dès que les concours ont été finis, j’ai totalement oublié la chanson jusqu’à aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que ça fait trois semaines que j’ai un souvenir dans ma tête qui revient sans cesse. C’est dans un épisode des Simspon : Homer rentre chez lui, il va dans la cuisine, et là, Bart et Lisa discutent ensemble. Et Bart dit à Lisa : “Alors, là, je dis à Babette, je lui dis…” et il se tait.

Ça m’a toujours fait beaucoup rire, mais j’aurais bien du mal à expliquer pourquoi. Toujours est-il que depuis trois semaines, donc, dès qu’on me parle, j’ai Bart dans ma tête qui pollue toutes les informations qu’on me transmet avec son “Alors, là, je dis à Babette, je lui dis…”. Et plus ce qu’on me dit est important, plus j’entends Bart.

C’est particulièrement compliqué au boulot où on me parle beaucoup pour me donner moult indications sur les articles que je dois écrire. Et j’ai beau me dire “p’tain, mais merde, concentre-toi”, j’ai irrémédiablement Bart qui dit à Lisa : “Alors, là, je dis à Babette, je lui dis…”.

Mais le plus frustrant de l’histoire, c’est qu’en vingt saisons et un peu plus, on a jamais su ce que ce CONNARD de Bart avait dit à Babette.

Hashtag mère

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#A #l’époque, #nous #étions #jeunes #et #larges #d’épaules, #mais #aussi #nous #étions #de #véritables #précurseurs, #des #pionniers #façon #conquête #de #l’Ouest. #Bref, #on #défrichait #un #terrain #encore #inconnu #qui #faisait #vibrer #le #cœur #des #plus #aventuriers #d’entre #nous.

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(ahah, j’ai même pas été foutu de l’orthographier correctement : “hashtag” et pas “hastag”)

Mon avis d’expert : la crise économique

En tant que spécialiste de la crise économique, j’avoue que je me suis beaucoup amusé de voir circuler la vidéo de la BBC dans laquelle Alessio Rastani explique s’endormir en rêvant d’une récession. Finalement, il a reconnu être un communicant, une #attentionwhore comme on dit dans notre jargon de spécialiste de crise économique, et pas du tout un trader de la City.

Mais ce qui a réellement surpris tous les analystes avec qui je parle chaque matin entre la tartine de miel d’acacia et mes Weston à 8 000 euros, c’est qu’il a dit tout haut ce que le peuple pense tout bas. Or, le peuple n’y connait rien à l’économie. C’est le problème du peuple. Il parle sans savoir. Alors que nous autres, les spécialistes de la crise économique, nous avons autrement plus de compétences pour exprimer avec à propos des solutions à des problèmes qui – en réalité – ne nous concernent pas.

La crise économique que traverse les zones EMEA, NORAM et SWAP peut se résorber avec la mise en place de trois actions :

Point numéro 1. La Grèce. Pays de l’antiquité qui nous pète encore les couilles aujourd’hui avec son alphabet à la con, la Grèce a perdu depuis longtemps de sa superbe. Les années où Ulysse traversait la mer Ionienne pour rejoindre Ithaque sont loin, très loin. Précurseur, Sophocole, pourtant, avait prédit l’avenir dans sa tragédie το πάγκρεας της Ευρώπης (Le pancréas de l’Europe). Il y évoquait dans le chœur des vieillards de la Cité (versets §453-459) la haine du couple moteur franco-allemand (pour simplifier la lecture, j’ai repris ici la version d’Anouilh) :

Vous nous dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n’est pas trop exigeant. Nous, nous voulons tout, tout de suite, — et que ce soit entier. Nous refusons de nous contenter d’un petit morceau si nous avons été bien sage.

La dernière strophe fait évidemment référence aux critiques du parlement européen sur le manque de rigueur de l’économie grecque bien avant l’heure. Il faut donc – et c’est très simple à faire – réformer la Grèce. Tous les grecs devront dorénavant travailler dans la production de houmous et feuilles de vigne. En contrepartie, le reste du monde n’aura que ça à manger. On résout ainsi en deux temps, trois mouvements le problème de la famine et celui de la Grèce. CQFD.

Point numéro 2. L’indice de notation “AAA”. Non, sérieusement. On n’est pas des machines à laver, ni des réfrigérateurs. Cet indice est à abroger immédiatement. Cela relancera mécaniquement notre économie. Pour comprendre comment la chose fonctionne, il faut revenir à la définition keynésienne de l’économie : le marché s’autorégule lui-même. Derrière ce qui semble être un pléonasme, il faut distinguer deux choses : d’une part, “le marché s’autorégule”, c’est-à-dire que sa régularité est assurée par le mouvement astronomique des astres ; d’autre part “lui-même”, c’est-à-dire qu’il est son propre astre autour duquel il s’autorégule. Il suffit après de dériver la transformée de Fourier et on constate assez rapidement que la limite d’une croissance tendant vers 0 comme la notre aujourd’hui se retrouve sur une courbe exponentielle et tend immédiatement vers l’infini. En conséquence, en revenant simplement à cette définition de l’économie, on retrouvera rapidement le chemin du plein-emploi.

Point numéro 3. Mondialiser les entreprises. Ça pourra sembler violent aux artisans et aux PME, mais l’unique voie de sortie, c’est la fin de l’euro au profit d’une monnaie mondial : le yuan. Et pour y parvenir, il convient de mondialiser toutes les entreprises du monde. Il faut créer l’OMLF : l’organisation mondiale du laissez-faire. Fini les gagne-petits, les jean-foutre dont le chiffre d’affaire ne dépasse pas les 15 000 keuros par jour. Pour les besoins du bas-peuple, on remet en place un plan quinquennal : année 1, on fabrique des chaussures pour le pied gauche, année 2, on fabrique des chaussures pour le pied droit, année 3, des pantalons, année 4, des culottes et année 5 des rouleaux de pq. L’industrie du luxe reste bien évidemment en place pour produire les vêtements dont moi et mes amis avons besoin.

Sortir de la crise, c’est facile : il suffit d’en avoir la volonté.

PS : à l’attention des rédacteurs de C dans l’air, je suis disponible pour exprimer mon point de vue sur le plateau de votre émission. N’hésitez pas à prendre contact avec moi. Mes tarifs sont de 50 euros le mot. On ne trouve pas moins cher sur le marché.

L’avis (très) tranché du Monde Mag

Évidemment, être journaliste critique, c’est savoir dire les choses franchement, ne pas avoir peur de froisser les grands créateurs qui ont sué sang et eau des années pour finir leur film/livre/disque. C’est, sur un ton parfois péremptoire affirmer que “c’est nul” ou “c’est génial” ou “ça c’est vraiment du cinéma/de la littérature/ de la musique”. C’est un véritable métier qui demande tout un arsenal de vocabulaire cryptique qui puisse permettre à l’occasion de voir dans un film comme “Mes doubles, ma femme et moi” : “un exemple nietzschéen de la condition du surhomme confronté à l’orthodoxie freudienne, un cas classique de narcissisme dans lesquels l’idéal du moi prend la place du surmoi”.

Mais il arrive aussi que le critique mette des étoiles. C’est un truc pratique les étoiles : ça permet de dire si une œuvre mérite un quelconque intérêt sans avoir à se faire chier avec des phrases compliquées. Par exemple, dans Le Monde Magazine, il y a toute une page culture avec une colonne avec les sorties de la semaine et des petites étoiles pour nous dire ce que ça vaut.

Critique

Moi, j’adore parce que je me dis : ” Ah ouais, ça a l’air trop bien ‘La grotte des rêves perdus'” (alors qu’en fait, c’est chiant comme la mort, faudra que je vous en parle un jour) ou “Tiens, ça a l’air bien naze ‘Desination Finale 5′”.

Sauf que… Au Monde on doit vouloir se fâcher avec personne, conséquence on nous dit ce que signifie chaque étoile. Et là, détrompez-vous : le nombre d’étoiles n’indique PAS DU TOUT la valeur du film, non. Pour Le Monde, tous ces films méritent d’autorité le déplacement :

Etoiles

Oui, alors je sais, on va me dire : “Naaaaan, mais c’est écrit ‘La Sélection de la semaine’, ils ont déjà écrémé pour ne garder que le meilleur”. Sauf que c’est quasi la liste de toutes les sorties de la semaine. On ne me la fait pas à moi.

Alors, Le Monde ? On n’a pas les couilles de dire qu’un film est nul ? rep a sa mon bo loulou.

La Stratégie de l’évitement

Je suis atteint par un mal incroyable, c’est une vraie détresse en soi, j’ai aucune idée pour écrire sur ce blog (et en vrai, j’en avais déjà pas beaucoup avant).

Je réfléchis à des trucs, j’ai envie de faire plein de choses et puis paf, quand arrive le moment, c’est le vide, l’absolu, je pense plus à rien, toutes les idées s’envolent, et le poids de la fainéantise s’abat sur mes épaules comme la patte d’un chat sur une souris encore agonisante. Alors, j’ai qu’une envie c’est de dormir.

Je n’ai pas compris ce qui m’affectait alors j’ai cherché sur Doctissimo. J’en suis revenu avec un cancer de l’hypothalamus. J’ai passé un scanner, mais non. Pas ça. J’ai pensé à l’aboulie. Et non, non plus. Finalement, c’est plus dramatique encore (si, si). C’est ce qu’on appelle la “stratégie de l’évitement” : quand je dois faire quelque chose que je n’ai pas super envie de faire, c’est irrémédiable mes paupières se ferment toutes seules. Et ce n’est même pas la peine de lutter, le sommeil m’attire indubitablement.

Par exemple, chaque jeudi, je dois préparer la conférence de rédac du lendemain sur des sujets aussi captivants que “la clé de douze, sa vie, son œuvre”, “le système métrique, cet inconnu” ou bien encore “les clous, oui, mais pourquoi ?”. En vrai, je travaille dans un magazine généraliste, mais comme je suis arrivé avec la caution “le mec technique”, j’écope de tous les sujets sur le domaine, domaine qui s’élargit assez facilement à “tous les sujets qui n’intéressent pas” : du nucléaire à la maladie d’Alzheimer.

Eh bien quand arrive le moment de préparer la conf, j’ai les yeux qui tirent vers le bas avec l’irrémédiable envie de poser ma tête sur le revêtement froid et glacé du bureau. C’est bien le seul moment où la perspective d’écrire sur ce bloug me semble moins exténuante que d’habitude. C’est d’ailleurs pour ça que je viens de le faire.

Mais cette stratégie, je l’utilise pour tout le reste. Un programme qui m’intéresse pas à la télé, paf, je m’endors, poser une RTT pour passer à la banque, zou, une sieste pour attendre qu’elle ferme…

Le vendredi, après la conf évoquée au-dessus, en général, on prépare le bouclage du journal. Chaque semaine, on a ce qu’on appelle la Polémique de la semaine. En gros, on prend un sujet en vogue à quatre heures du bouclage et on doit trouver une question et deux intervenants, un qui dit “oui”, l’autre qui dit “non”.

Quatre heures, c’est court. Très court. Et souvent, ça tombe sur ma gueule. Mais pire, il y a un catch-22 dans l’affaire. C’est que – outre un délai restreint – le sujet n’appelle que rarement un véritable opposé.

Si c’était “Mangez-vous des salsifis en toutes saisons ?”, on pourrait assez facilement trouver un type qui dirait : “Ah oui, moi, je m’en bâfre toute l’année” et un autre qui raconterait : “Beurk, c’est trop crade”. Mais non, bien sûr. Nos sujets, c’est plutôt le genre : “Le radis est-il un légume ?”. Alors, on trouve un jardinier qui nous dit : “Bah… Euh… Oui”. Et là, vas-y, rame pour trouver un type qui te soutient mordicus que “non, le radis n’est pas un légume, c’est de la VIANDE”.

En général, on trouve un pauv’gars qui dit : “bah, euh, je sais pas”. Et là, paf, nous, on titre : “Le radis est-il un légume ? Machin dit : ‘NON, je crois pas'”.

Et à chaque fois que j’ai à m’occuper de cette page, je vis les mêmes phases que pour un deuil :
1. le déni : “Non, mais y a pas de sujet, là, c’est n’importe quoi”
2. la colère : “Bon, je le fais, mais c’est VRAIMENT N’IMPORTE QUOI”
3. le marchandage : “quelqu’un a le numéro d’un jardinier dans son calepin ?”
4. la dépression – qui est en fait chez moi une grosse fatigue et une forte envie de dormir déjà évoquée ci-dessus –
5. l’acceptation, j’écris l’article.

Donc, voilà, en somme, quand je déprime, je fatigue et c’est une stratégie d’évitement qui fonctionne assez mal, puisque je fais quand même ce que je veux éviter.

(oui, je sais plus vraiment où je voulais en venir, j’espère que ça se remarque pas trop).

Le Mystère du paquet de clopes

Edit (pas de Nantes) : Je certifie sur l’honneur ne jamais avoir entendu parler de Monsieur Stéphane Guillon avant d’avoir écrit ce texte. Pour plus de renseignements, voyez par ici.

L’autre jour, je buvais un vert avec Krstv et Ioudgine, il était tant qu’on se dise “au revoir” qu’en – SOUDE UN – je tombe sur le paquet de clopes de Ioudgine.

(bon, j’arrête de faire des fautes pour rire, parce que vous allez me corriger dans les commentaires, maintenant si j’en fais, c’est pas exprès).

Elle avait un paquet de Marlboro, des rouges. MX4 Flavor pouvait-on lire. En dessous, c’était la photo d’un foetus mal en point avec écrit en lettre d’or “FUMER PENDANT LA GROSSESSE NUIT À LA SANTÉ DE VOTRE ENFANT”. Et alors ?

Enfin, bref, je retourne le paquet. Et que lis-je devant mes yeux ébahis ?

Je lis : “dC13623”

Clopes

Un numéro de série.

Les paquets de clopes ont des numéros de série. Et je n’en savais RIEN. Rien du tout.

Et en plus des lettres rigolotes avec des minuscules et des majuscules et des chiffres.

Tout ceci avait forcément une explication et donc je fonce nulle part.

À quoi ça peut bien servir un numéro de série sur les paquets de cigarettes ? Non, mais sérieux ? Bien sûr, ni Ioudgine, ni Krstv n’avaient le moindre début d’une explication. J’ai donc dû trouver tout seul.

Et j’ai trouvé.

En fait, c’est parce que sur tous les paquets, maintenant, il y a des promesses. Sur les uns tu peux avoir un cancer de la gorge, sur un autre tu peux finir impuissant. Y en a même un qui te dit que les fumeurs “meurent prématurément”. Et si ça se trouve, bah, tu vas fumer ton paquet de clopes et tu choperas rien. T’auras des gosses, ça se trouve, tu n’auras même pas de cancer. Et si ça se trouve tu mourras d’un autre truc que le tabac. Et voilà à quoi ça sert, ce numéro de série : c’est pour te plaindre.

– Oui, bonjour, le service client de Marlboro ?
– Oui monsieur, que puis-je faire pour vous ?
– C’est pour une réclamation.
– Oui, je vous écoute ?
– Voilà,j’ai acheté un paquet de Marlboro, l’autre jour.
– Oui ?
– Et bien, dessus il est écrit : “fumer pendant la grossesse nuit à la santé de votre enfant”. Or, ma femme qui a fumé une cigarette de ce paquet vient d’accoucher.
– Et ?
– Et le bébé va bien.
– Ah. Oui, il y a du avoir un problème, effectivement.
– Oui, parce que c’est pas bien normal, vous comprenez.
– Bien sûr, monsieur. Au nom de Marlboro, je tiens à vous présenter nos excuses. Pourriez-vous me communiquer le numéro de série de votre paquet, il est tout en dessous.
– Attendez, je regarde, c’est le… c’est le dC13623.
– Le ‘d’ est minuscule ou majuscule ?
– Minuscule.
– Attendez je fais une recherche sur les internets. Oui, c’est un paquet de MX4 Flavor, on l’a expédié au bureau de tabac de Port-Royal. Ah oui, effectivement, monsieur, il y a bien un problème : on a oublié d’ajouter les agents de saveur qui nuisent à la santé de votre enfant. Je suis vraiment désolé, c’est tout le lot qui a eu ce problème.
– Oui, mais là, mon enfant est né, alors on fait quoi ?
– Ecoutez, je suis vraiment navré. Mais je peux vous proposer des tétines à la nicotine spécialement conçues pour les bébés ? Ça les intoxique doucement et on est assuré à 99% qu’ils développent une maladie rare et gravissime avant trois ans.
– C’est pas mal, mais vous n’avez rien de mieux ?
– Non, sinon je peux vous rembourser le prix de votre paquet en timbres postaux ?
– Non, bah tant pis, je vais vous prendre les tétines alors. Mais vous êtes sûrs qu’elle marchent ?
– Je vous l’assure. Mais il faut s’assurer qu’il ne la crapote pas.

La Belle et la bête mis à plat

Foutage de gueule. Voilà. Je n’ai rien d’autre à dire. Non mais, sérieux, Walt, tu nous prends pour des caves ? Okokokokok, tu étais mort quand tes héritiers ont décidé de réaliser La Belle et la bête, mais QUAND MÊME, tu n’aurais pas pu vérifier depuis le purgatoire où tu traînes tes guêtres de l’onc’Picsou ? Nom de Dieu, merde, à la fin.

“Il était une fois dans un pays lointain”, nous dit le narrateur (l’intro complète est ici), “un jeune prince qui vivait dans un somptueux château”. Il est beau, il est jeune, mais il est “capricieux et égoïste et insensible”. Déjà, on ne nous parle pas de ses parents. Genre, il est “né” prince mais d’une famille royale, non ? Alors où ils sont le roi et la reine ? D’où ils ont fait un gosse comme ça ? Ce n’est pas parce qu’on est prince qu’on ne doit pas recevoir un semblant d’éducation, non ?

Une mendiante arrive et offre une rose pour passer la nuit dans le château et éviter le sort des SDF parisiens qui sont obligés de s’allonger sur des bouches de métro. Soit. Mais, bon, le prince, ce n’est pas non plus l’armée du salut. Si c’est comme ceux de l’émission de télé-réalité de TF1, il a peut-être déjà du mal à donner le gîte et le couvert à ses sujets. Bref, il refuse, fout la mendiante à la porte qui lui sort une banalité (“la vraie beauté vient du cœur”, comme disait Monsieur Manatane : “Ce sont les moches qui racontent ça”). Pas de bol, c’était une fée et elle lui jette un sort : elle le transforme en “une bête monstrueuse”.

Sympa, elle lui laisse aussi la rose qu’elle voulait lui offrir et qui doit se flétrir le jour de son vingt et unième anniversaire. Pour “briser le charme”, le prince devra “aimer une femme et s’en faire aimer en retour”. Homophobie ? On pourrait le croire, mais le “monstre” qu’il est devenu ferait fureur dans des boîtes bears, donc en fait, ça ne le ferait pas tant chier que ça d’être poilu.

S’il n’y arrive pas, il restera un monstre “pour l’éternité” (doit-on comprendre qu’il est immortel ?).

“Plus les années passaient et plus le prince perdait tout espoir d’échapper à cette malédiction car en réalité qui pourrait un jour aimer une bête ?”, conclut le narrateur, alors que le château a sombré dans les méandres de la mélancolie. Puis, titre et nous voici dans un petit village charmant où vit Belle.

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Je ne vais pas raconter tout le film. Mais sérieusement.

Non. Sérieusement.

Il est dirigé par qui ce village ? C’est comme dans Sacré Graal ? Une collectivité autonome ? Et ce château, là, personne n’a l’air de le connaître. Personne n’a l’air de savoir qu’il y a un prince et donc certainement un roi et une reine ? De qui on se fout ? Moi, je veux bien y croire si le château était à l’abandon depuis trente ans. Mais, même pas ! Si on tente de faire une chronologie des événements : en 1431, le prince naît. Sa mère meurt en couche et son père décède tragiquement pendant une bataille en Toscane. Soit. Il est (mal) élevé. Puis disons à quinze ans, pas bien avant quand même, il y a le tragique épisode de la mendiante-fée (quelle fourbe, celle-là). Nous sommes en 1446. A priori, le royaume de ce prince continue d’exister et même s’il est petit, son royaume, il va quand même un peu au-delà de son jardin, non ? Sinon que quelqu’un m’explique comment il survit, le prince et ses sujets ? Il faut bien des paysans, il y a des serfs, des vilains, il faut bien des nobles, comment vivent-ils ?

Alors, nous voici en 1446, nous avons un village perdu au milieu de rien, à côté un château que personne ne connaît ou presque et le prince n’est toujours pas devenu une bête. La fée passe, fait son cinéma (blablabla beauté de l’intérieur, blablabla) et voilà que d’un coup, le château devient un no man’s land et le prince un monstre.

On sait par le narrateur que de nombreuses années passent. En réalité pas bien plus de cinq ans. Le prince approche de la vingtaine, nous sommes probablement en 1451, mais en réalité, on s’en fout puisqu’il est “bête pour l’éternité” au moment où on parle et tous ses sujets sont devenus des objets domestiques. Dont une maman-théière et son fils-tasse au rebord ébréché. Question bis : il est né comment ce gamin ? Il était né avant de devenir une tasse ? Elle a couché avec qui la théière ? Donc il a grandi ? Au départ, c’était un dé à coudre et puis aujourd’hui c’est une tasse à thé ? À qui veut-on faire gober ça ?

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Mais la suite est encore plus improbable (si c’est possible). Voici que soudain, un soir de pleine lune, le père de Belle se perd et tombe sur ce château. Qui a l’air sacrément loin parce qu’il est parti de chez lui aux aurores. Après la surprise (“Bon sang, un château ? Ici ? Et ça fait soixante ans que j’habite là, je ne l’avais jamais vu dites !”), il se fait emprisonner. Belle va partir à sa recherche grâce au cheval super intelligent de son père qui a retrouvé un super raccourci pour rentrer car il lui faut moins d’une heure pour revenir dans la maison de Belle et encore moins de temps pour emmener Belle au château. Et quand elle arrive dans le cachot de son père, on jurerait que ça fait trois mois qu’il est là.

Un peu plus tard, quand les villageois se décident à mener une action populaire pour brûler le château (dont – sans qu’on comprenne bien pourquoi – tout le monde se rappelle subitement l’existence comme celle de la bête qui l’habite), ils y vont à pied en moins de dix minutes. Genre. Y a de nouvelles routes qui ont été pavées pendant la durée du film ?

Franchement, messieurs de chez Disney, je vous aime bien, mais c’est déjà assez compliqué de faire comprendre à nos gosses qu’une année c’est 365 jours divisés chacun en vingt-quatre heures composées chacune de 60 minutes et qu’il faut une heure pour faire Paris-Fontainebleau et non, y a pas plus court, c’est à cause des embouteillages sur l’A6 et maintenant ferme ta gueule et regarde ta Nintendo, sans que vous ne veniez nous compliquer la tâche.

À moins que votre dessin animé ne soit une approche de la relativité restreinte d’Einstein afin de faire comprendre les problèmes de dilatation du temps et les contractions des longueurs dans le cadre d’un village en gestion collective autonome, mais dans ce cas, vous auriez pu le dire clairement.

Rêve de Blédi (un premier roman)

Préface de Nicolas Demorien

Chaque génération à son auteur phare qui exprime le mal-être de l’époque. J. D. Salinger, Jay McInerney, Bret Easton Ellis et aujourd’hui Julia Cork. Née en 1998 et âgée aujourd’hui de douze ans, ce jeune auteur a su comme personne jusqu’ici décrire les changements psychologiques entre l’enfance et l’adolescence. Inspirée par Françoise Dolto, sa prose légère et incisive fait mouche et reste en tête comme un poème de Rimbaud dont elle a le talent.

joyce.jpgAprès trois ans à la maternelle Henry IV, Julia Cork a pris son envol en suivant les cours de la maîtresse Martine Joubert à l’école primaire du Bon Sauveur. C’est là qu’elle a découvert la passion de l’écriture transmisse par son arrière grand-père par alliance, le célèbre auteur des Gens de Dublin. Ce besoin de raconter des histoires, Julia Cork l’a exprimé magistralement dans un texte en prose de 2005 : “ce feu brûlant qui coule en moi”. Son premier roman, “Rêve de Blédi” est le cri déchirant d’une enfant à qui on interdit de manger des compotes parce que “ce n’est plus de son âge”. Un texte court et dense sans concession qui en dit plus long sur la génération des 6-12 ans que de nombreux romans contemporains. Une artiste est née, elle s’appelle Julia Cork.

Rêve de Blédi
par Julia Cork

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Chapitre Un

Il ne manque pas grand-chose finalement. La naissance, la vie, la mort. Trois étapes. Une seule peau. Rilke me parle : “Il y a une quantité de gens, mais il y a encore beaucoup plus de visages, car chacun en a plusieurs”. Je ne suis pas unique, je suis plus.

*

Midi. Cantine. Frites. Miam.

*

C’est la rentrée des classes. J’ai encore cette conne de Joubert. J’en reviens pas. Il y a huit instituteurs, deux maîtresses, et faut que je me tape la Joubert. Baptiste qui est à l’école avec moi à Monsieur Martin. Monsieur Martin, c’est un mec bien. Un jour, je l’épouserai.

*

Je ne sais pas si c’est le silence de la campagne, mais j’aime de moins en moins Meaux. Je ne sais pas pourquoi il a fallu partir de Paris. Papa a dit un jour : “Les enfants, on doit s’en aller, j’ai eu une grosse promotion”. Le lendemain, nous partions.

*

Avec Manon, on a demandé à la maîtresse si on pouvait faire la sieste parce qu’on voulait pas dessiner. Elle nous l’a interdit. On était dégoûtées.

*

Maman ne veut pas que je prenne une compote. Je suis trop vieille pour elle. Je n’ai pourtant que six ans ! J’ai encore le droit à ma compote, non ?

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Journal secret. On a joué cet après-midi après la cantine. On s’est échangé nos Silly Bandz et je me suis trompée : j’en ai pris un à Manon et je ne le lui ai pas rendu. Alors Faustine l’a dit à Manon et maintenant Manon veut plus être ma meilleure amie. Alors qu’on est les meilleures amies du monde, je le sais. Et un jour, je l’épouserai. J’ai répété et répété que je l’avais pas fait exprès, mais Faustine, elle a continué de raconter des cracks comme quoi je l’aurais fait exprès. ALORS QUE C’EST PAS VRAI. La bitch.

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