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Catégorie : Comprendre Wagner

Siegfried Chicken

En mars 2010, je publiais un article sur L’Or du Rhin que j’étais allé voir à l’Opéra et je me lançais – propulsé par mon altruisme – dans l’écriture du premier grand résumé en clair de l’intégrale de la Tétralogie de Wagner. Enfin, on allait TOUT comprendre sans les excès pédants des livrets qu’on retrouve dans les enregistrements de l’œuvre et qui nous prennent tous pour des experts de la mythologie germanique.

Bon, ça c’était le projet initial car je m’étais rajouté une contrainte dont je n’avais pas tout à fait estimé la complexité : j’ai voulu raconter les événements dans l’ordre strict des opéras. C’est-à-dire sans rien rationaliser, en quelque sorte “comme si vous y étiez”. Or, je n’avais pas vraiment noté que Wagner était un véritable storyteller avant l’heure : cliffhangers, flashbacks, enfants cachés, amours impossibles, twists délirants à faire baver M. Night Shyamalan… Du coup, pour mettre ça au propre, c’était le véritable bordel. Et j’ai laissé tombé.

Mais sept ans plus tard, je reviens, remonté comme un coucou Suisse et j’ai pris la décision d’arrêter de m’imposer cette règle, sinon, je vais vraiment jamais finir.

Oui, parce qu’à cette allure, je vais mettre autant de temps à résumer la Tétralogie que Wagner n’en aura mis pour l’écrire (et avec la musique) (et la salle d’opéra pour le jouer).

Toutefois quand j’aurai fini, je fermerai définitivement ce blog. C’est dit.

Pour m’aider, je vais faire des chapitres plus courts et plus fréquents. Ce sera moins indigeste à lire pour les deux personnes qui le feront (moi et mon double maléfique). Ce premier chapitre est en réalité le brouillon de 2012 à peine réactualisé.

Si vous voulez vous rafraîchir la mémoire :
L’Or du Rhin
La Walkyrie (partie 1)
La Walkyrie (partie 2)
La Walkyrie (partie 3)

Retournons-y alors avec la deuxième journée de notre périple, et troisième opéra de la série.

Rappelez-vous (j’adore écrire ça, parce que personne ne peut se souvenir), nous avions  laissé la Walkyrie préférée de Wotan, Brünnhilde, en haut d’une montagne, surveillée par un feu-follet (le fameux Loge) que seul un “héros” (un héros, c’est un homme sans peur) pourrait traverser.

Wotan

On dit que Siegfried est le plus chiant des opéras de la tétralogie, c’est aussi le plus chiant à résumer. C’est ce que les Inrocks appellerait un “récit initiatique”.

Bref, la troisième journée de notre épopée lyrique débute dans une forêt (ça change du caillou de la dernière fois). Voici que l’on découvre Mime, le frère d’Alberich, celui qui a volé l’Or du Rhin aux filles du Rhin en refusant l’amour (parce qu’il était laid) (et que de toute façon, il avait jamais vraiment connu l’amuuuuuuuur ni l’envie d’avoir enviiiiiiiie) (Alberich, lui, est mort, enfin je crois, je me souviens plus, de toute façon, il n’intervient plus dans l’histoire). Mime, dans l’Or du Rhin, s’était illustré en forgeant l’anneau du Nibelung (l’anneau dont on parle depuis le début) et un heaume magique qui permettait de prendre n’importe quelle apparence. Cette information aura son importance un peu plus tard, c’est-à-dire chez Wagner, dans à peu près quatre siècles et demi.

Mime est donc là, le cul sur la commode, forgeron de son état, il fabrique des épées et il n’est pas content : il forge des épées pour un certain Siegfried et ce Siegfried les casse sans arrêt. Il finit une épée, Siegfried la brise et Mime recommence. Il existe pourtant UNE épée que personne ne pourrait briser : c’est Notung, l’épée de détresse (cf La Walkyrie).

Malheureusement, elle a été brisée. Oui, je sais, je viens de dire qu’on ne pouvait pas la briser, mais là, c’est un Dieu qui l’a brisée. Un Dieu fait ce qu’il lui plaît comme dans la chanson “Chacun fait, fait, fait, c’qu’il lui plaît, plaît, plaît”. En plus, c’est Wotan, le Dieu des Dieux. Il l’a brisée après l’avoir donné à son demi-fils, Siegmund. Et a permis ainsi à l’adverse de Siegmund de le tuer. Conséquence, son demi-fils est totalement mort.

Donc Mime ourdit un plan diabolique. Il va ressouder Notung pour l’offrir à Siegfried. Cette fois, Siegfried ne pourra pas la briser (je viens de vous dire qu’elle était incassable). Et puis, il va l’encourager à combattre Fafner, le dragon qui surveille l’anneau du Nibelung, celui-là même que Mime a forgé pour Alberich dans L’Or du Rhin. Ensuite, Mime empoisonnera Siegfried et à lui la fortune, la gloire et les putes (enfin, ça on ne l’apprendra que dans vingt minutes, mais rapport à mon intro, je me fais plus chier maintenant).

À ce moment de l’opéra, c’est-à-dire dix minutes après le début, c’est dire s’il va falloir que j’accélère si on ne veut pas y passer la nuit, Siegfried arrive chez Mime. Alors qui est Siegfried ? On ne sait pas, mais comme dirait l’autre :

Savoir

(l’idée de coller l’image de ce mec date du premier brouillon de cet article en 2012, elle avait sûrement du sens à l’époque.)

À suivre.

La Walkryie kiki

Bon sang ! Quand je pense que mon projet initial, c’était d’être le premier mec au monde à résumer l’intégrale de l’Anneau du Nibelung en moins de 140 caractères. Et regardez où j’en suis rendu : quatre articles pour réussir à raconter les deux premiers opéras. Où va le monde, ma bonne dame ? Où va le monde ?

J’aurais pu simplement dire : “vous voyez Le Seigneur des Anneaux ? Vous avez l’Anneau du Nibelung”. Mais non, tiens. Chapeau moi-même.

C’est donc la mort dans l’âme que je continue. Sans trop savoir pourquoi, d’ailleurs. L’épisode précédent, c’est ici.

L’acte trois débute “au sommet de la montagne rocheuse”. Je vous rappelle que Brünnhilde s’est enfuie avec Sieglinde, que Wotan a jeté une malédiction sur Brünnhilde pour ne pas avoir suivi son ordre : laisser son propre fils, Siegmund, se faire tuer par Hunding, l’ex-mari de Sieglinde (sœur jumelle de Siegmund) qui attend dorénavant un enfant de son frère (on va le savoir dans pas longtemps). Bonjour la consanguinité.

Nous voici donc “au sommet de la montagneuse rocheuse” (bravo Wagner pour le pléonasme, bravo moi-même pour la répétition) et toutes les Walkyries s’attellent à la tâche qui leur est imposée : peupler le Walhalla des plus féroces guerriers qui se sont illustrés sur le champ de bataille afin de défendre ce mirifique lieu construit par les géants frères (et pas verts) Fafner et Fasolt (qui a été tué par Fafner rapport à l’anneau forgé par Alberich). Rappel pour les étourdis : l’anneau est toujours dans les mains de Fafner (qui en tant que géant ne peux pas le mettre à son doigt, mais ça, limite on s’en fout).

Instant “Le saviez-vous” ? C’est ici qu’on entend la musique d’Apocalypse Now quand les hélicoptères partent pulvériser du Nuoc-mâm sur les Vietcongs. Je me suis souvent demandé comment Wagner avait fait pour s’en inspirer puisque la première de son opéra avec ce thème date de 1870 alors que le film de Coppola est sorti au cinéma 109 ans plus tard. Un mystère que je ne m’explique toujours pas.

Voici donc Brünnhilde qui entre sur scène avec Sieglinde tandis que les autres Walkyries ramassent des guerriers pour leur redonner vie et les emmener au Walhalla. “Walkyries” qu’elle appelle “ses sœurs” ce qui va à mon sens dans l’idée que c’est bien Wotan le papa des huit Walkyries. Erda a dû bien rire, si c’est elle qui les a toutes portées… À moins que ce ne soit les prémices de l’Octomom ? Auquel cas Wagner est vraiment un putain de visionnaire, ce qui ne m’étonnerait pas.

Octomom

(Notez que j’espère pour Brünnhilde, qu’on ne lui a jamais donné le biberon par la tête comme le fait le fils de l’Octomom).

Toutes s’esclaffent : “Tiens, revoilà not’Cendrillon, alors elle nous a ramené quoi cette fois-ci à la place d’un guerrier… Un faon comme l’autre fois ? Ou un pingouin ? Ah non, une femme”. De son côté Sieglinde est fort malheureuse : “Ne te tourmente pas pour moi”, dit-elle à celle qui s’est parjurée pour la sauver, “je n’attends que la mort”. SYMPA. Genre, je me fais chier, je me fous dans la merde pour toi, je me brouille avec mon reup, et toi, tu veux quoi ? Sucer les pissenlits par la racine ? Grosse vache.

Donc, Brünnhilde explique que c’est pas tout à fait possible qu’elle meure pour la simple et bonne raison qu’elle attend un enfant. “Ah bon ? T’es gynéco ? T’as fait une échographie ? KAISSTANSÉ ?”, répond Sieglinde, bien étonnée. Les autres Walkyries qui scrutaient l’horizon voient Wotan arriver avec beaucoup de bave aux lèvres et préviennent Brünnhilde du danger. Sieglinde, qui aspirait à la mort à peu près trente secondes auparavant, chie d’un coup dans son froc : “Non, mais j’ai dit ‘je veux mourir’, genre, comme ça, mon frère est mort, ça m’a rendu un peu triste, mais en vré j’ai pas super envie, hein, et pis maintenant, j’attends un enfant, fais quelque chose, Brünnhilde, j’t’en prie”.

Brünnhilde conseille alors à Sieglinde d’aller chez Fafner, enfin, pas d’aller le voir (vu que, bon, il y a peu de chances que le géant ait très envie d’accueillir la mère de l’enfant qui va lui piquer son trésor, même s’il ne le sait pas forcément encore), mais de s’y cacher. Là-dessus, Waltraute (une autre Walkyrie) regarde le ciel et dit : “L’orage approche”. Et Ortlinde répond : “Que celui ou celle qui n’a pas de parapluie s’enfuie”. Et Sieglinde se tire : “Salut la compagnie ! Brünnhilde, c’était très sympa, dis bonjour à ton père pour moi”.

Et voici Wotan en emporte le vent qui débarque sur son char tiré par trois chevaux (“je vais faire un régime Dukan, promis”) et qui entend bien châtier la rebelle. Seulement toutes les Walkyries se sont mélangées entre elles… Sauras-tu retrouver Brünnhilde ?

Walk

Wotan : Brüüüüüünnhiiiiiiiiiiiiilde ! Brüüüüüünnhiiiiiiiiiiiiilde ? Viens prendre ta raclée.

Brünnhilde s’approche de son père qui décide toute une batterie de sanctions plus sévères les unes que les autres. Tout ça pour avoir désobéi UNE fois. Il l’exile, il va la plonger dans un sommeil artificiel en haut d’une montagne et le premier mec qui passe l’éveillera et “flétrira sa fleur virginale”. En gros, il la baisera.

On peut dire ce qu’on veut, mais Wotan n’est pas commode. Il est plutôt tiroir. (oui, c’est ma blague favorite au monde, je vous emmerde).

Je pense, par ailleurs, que Wagner a manqué pour une fois d’un peu de modernité là. Imaginez, il aurait pu faire ça façon Jerry Springer (ou son équivalent belge, avec le présentateur neurasthénique de Ça va se savoir) :

Planche3

Résignée, Brünnhilde demande à son père pourquoi il la répudie. Wotan expédie l’explication d’un obscur : “Demande-toi ce que tu as fait et tu comprendras ta faute”. Là, Brünnhilde est un peu vénère : c’est vrai, elle a désobéi au dieu, mais au dieu qui venait de prendre une décision dictée par sa femme et contre sa propre volonté. Ça ne change rien pour Wotan qui n’a pas vraiment le choix, rapport qu’il est un dieu et tout ça, c’est toujours un peu la merde, faut jongler entre obligations professionnelles et les gosses et encore, il a à peine le temps de les voir grandir, comme Brünnhilde qui est devenue trop vite un esprit libre et farouche. Ah l’indolence de l’adolescence…

Brünnhilde : Bon alors on fait quoi.
Wotan : Bah, t’as fait ta bravache, maintenant j’ai plus trop le choix. Tu vas dormir et zou, le premier mec qui te réveille, tu lui appartiens.
Brünnhilde : Allez, sois chic, fais au moins qu’il soit un grand guerrier, quoi.
Wotan : Non.
Brünnhilde : Mignon, alors ?
Wotan : Non.
Brünnhilde : Bon, bah un nain comme Alberich au moins ?
Wotan : Ça peut pas être un nain, j’ai dit un homme. T’es cruche, ou bien ?
Brünnhilde : Au fait, faut que je te dise.
Wotan : Quoi ?
Brünnhilde : La Sieglinde, elle porte l’enfant de Siegmund. Et je lui ai donné l’épée brisée de Siegmund (quand ils se sont battus à la fin de l’acte deux, sérieux, c’est fatiguant de tout devoir vous rappeler, suivez merde).
Wotan : Oui, bah qu’elle se démerde. Allez, monte en haut du rocher que je t’endorme, j’ai déjà trop traîné.
Brünnhilde : Ça va, j’y vais, on est pas non plus aux courses, hein. En plus, je suis seule, je suis bien obligée d’arriver en tête.
Wotan : Les bookmakers t’ont très mal cotée de toute façon.
Brünnhilde : Bon, et pour notre accord, tu me promets que le garçon qui viendra me réveiller sera un grand héros.
Wotan : Mais vous me fatiguez TOUTES. Pas une pour ne pas réclamer une faveur… Wotan, construis-moi un palace ; Wotan, protège machin ; Wotan, tue bidule ; Wotan la vidange de la voiture, c’est qui qui va la faire ? ; Wotan, encore en train de boire une bière ? ; WOTAN, IL VOUS EMMERDE.
Brünnhilde : Allez, sois chic. Ou sinon, tue-moi. Mais ne m’offre pas au tout-venant…

Wotan lève les yeux en l’air, exaspéré. “Très bien, seul un homme plus libre que moi pourra t’épouser, tu es contente ? Bien, allez maintenant, monte sur ton petit rocher, il est temps de dormir ma chérie”.

Brünnhilde traîne encore ses pieds, s’allonge sur un genre de caillou et un feu s’allume autour d’elle (pour la petite histoire, c’est Loge qui est contraint de devenir feu follet pour empêcher quiconque de sérieusement convaincu d’approcher, mais Loge, je sais déjà que vous avez oublié qui c’est alors, je n’insiste pas).

Springer

FIN (de l’opéra)

Walkyrie en culottes courtes

Bon, après ces conneries sur mes amis bobos qui m’ont un peu éloigné de mes considérations personnelles sur les opéras de Wagner, où en étais-je donc dans ma grande saga de “je vous raconte L’Anneau du Nibelung” ? Ah oui. J’en étais à la Walkyrie Pocket où nous avions laissé Sieglinde et Siegmund convoler, dépourvus de tout sens moral puisqu’ils venaient de découvrir qu’ils étaient frère et sœur, jumeaux de Wotan, sous le toit de l’époux de Sieglinde, Hunding, un sombre mariage forcé. Si vous en avez le courage, c’est par ici (et là pour l’Or du Rhin).

L’acte deux de l’opéra nous change radicalement de décor. Direction une “contrée montagneuse et sauvage”. On retrouve Wotan qui s’est changé (vous savez, il était venu voir Sieglinde en vieillard pour planter une épée dans un tronc d’arbre mort ? Suivez, merde, sinon ça ne va pas être possible). Frais, rasé et propre, il goûte un repos bien mérité. Enfin pas tout à fait. Entre le cognac et le cigare, il convoque Brünnhilde, sa Walkyrie préférée. *** STOP *** PARDON *** WTF *** Qui sont ces Walkyries et pourquoi Brünnhilde est sa préférée ? À ce moment du livret, on n’en sait rien. Sa C tt le pb 2 notr &pok, sa veu tt savoar tt 2 suit. Donc Brünnhilde est sa favorite et les Walkyries sont des guerrières vierges dans la mythologie nordique, et il lui demande de sauver Siegmund et Sieglinde des griffes de Hunding. Brünnhilde, ravie, crie des “Hojotho ! Hotjotoho ! Heiaha ! Heiaha ! Hojotoho ! Heiaha !” en version originale. Non, elle ne vient pas de traverser Fukushima, elle est juste ravie. Quand, au loin, elle voit la femme de Wotan avec un rouleau à pâtissier avec lequel elle frappe la croupe de trois chevaux flamboyants qui tirent son char doré. “Pt’ain, fais chier, v’là la rombière”, se dit Wotan dans son plus for intérieur.

– Qu’est-ce qui se passe encore ?
– Ferme ta bouche, Wotan. Tu sais très bien.
– Non, je ne sais pas, dépêche, j’ai pas la journée.
– Hunding m’a texté. Ta fille — SA FEMME — et ton fils couchent ensemble.
– Hunding ne m’a jamais demandé la main de Sieglinde, ça m’aurait fait mal de la lui donner.
– Peut-être, mais ils sont mariés maintenant, et j’apprécie pas trop l’adultère, rapport au fait que je suis la gardienne des liens sacrés du mariage, tsé.

Là, Wotan, qui a trempé sa bite dans tous les trous que compte la capitale, rit sous cape.

– ÇA VA, WOTAN. JE SAIS. N’EMPÊCHE.
– Bon, ok, ok, tu veux quoi ?
– Tu n’aides plus Siegmund. L’épée magique qu’il a récupérée, tu lui vires tous ses pouvoirs. Et tu files un peu droit, gros queutard de mes deux. Tu crois que j’ai pas vu, hein ? Tu crois que j’ai pas vu que l’immense fortune des Dieux a servi à payer la pension alimentaire pour les huit bâtardes, tes Walkyries, que tu as eues avec cette pute d’Erda et…

Attends, attends Fricka, là, je perds tout le monde. Déjà que c’est pas facile d’intéresser les gens à Wagner…

Je résume. En violet, ce sont les enfants, en vert, c’est “a couché avec” et quand c’est double vert, c’est “est marié(e) avec” :

Mariage Wagner

Oui, on ne sait pas trop avec qui Erda a eu les sept autres Walkyries. Wotan ou un autre, on en sait rien, mais le gars paie pour tout le monde. Je n’ai pas non plus précisé les doutes incestueux qui traversent Wotan quand il s’approche de sa Brünnhilde. Mais bon, Fricka en parle au Dieu des Dieux comme “la fiancée de tes désirs”.

Ce à quoi Wotan répond : “Euh… C’est çui qui dit qui y est” et ajoute “mon esprit aspire à ce qui jamais encore ne s’est fait”, façon de dire qu’il anticipait le livre des mormons avant l’heure.

Désemparé, Wotan est face à un ultimatum. Le cadeau ou les échanges ? (cette référence n’a de sens que pour les natifs d’avant 1980) Fricka lui explique qu’elle a été assez bafouée comme ça et que maintenant, ça va filer droit à la maison. Que Wotan lâche le bâtard, et qu’il n’envoie pas Brünnhilde pour le protéger à sa place. Wotan (qui passe) accepte, le cœur déchiré en deux, obligé de reconnaître que sa femme a raison : s’il veut rester un Dieu, il doit se comporter comme un Dieu. Vacherie, tiens.

Là-dessus, Brünnhilde revient toujours à sa chanson héroïque.

Au fait, vous vous demandez à quoi servent les Walkyries ? PATIENCE, jeunes chiots !

Je vous zappe la scène suivante qui n’est qu’une longue redite de l’Or du Rhin. Sauf qu’en réalité, c’est ici qu’on apprend que Brünnhilde est la fille d’Erda, qu’on a vu dans l’Or du Rhin aussi, mais j’ai préféré vous épargné cette énième épisode). On nous met également au parfum que les huit Walkyries ont UN unique but dans la vie (oui, c’est ici, ta patience n’a pas été mise à trop rude épreuve ?) : ramener des guerriers morts qui se sont illustrés au combat pour les accueillir au Walhalla — non pas pour y couler des jours heureux comme dirait Fonzie — mais pour garder la demeure des Dieux (bon, a priori, les conditions de travail n’étaient pas harassantes et il y avait pas mal de contrepartie, mais quand même).

Wotan sent la fin du règne des Dieux arrivée et s’en ouvre à Brünnhilde et au public. La raison ?

Hum. Alors c’est à peu près à cause de ça :

Alberich, le nain qui a fabriqué l’anneau avec l’or du Rhin, puis qui se l’est fait voler par Wotan qui lui-même l’a offert aux géants Fafner et Fasolt en échange de la construction du Walhalla, n’a toujours pas digéré ce larcin. Et il compte bien se venger de Wotan. Entre-temps, Fafner a tué Fasolt pour récupérer l’anneau. Alberich pense récupérer l’anneau à Fafner. Wotan, lui, ne peut pas reprendre l’anneau (on peut voler, mais pas reprendre un cadeau, c’est comme ça en Germanie). Il faut que celui qui reprend l’anneau ne soit en aucun cas lié à Wotan. C’est pour éviter qu’on raconte partout que s’il a récupéré l’anneau, c’est parce que c’est “un fils de”. Pas comme d’autres.

Charlotte gainsbourg cannes 2009

Je vous passe encore les considérations métaphysiques (“Comment faire cet autre qui ne serait plus moi, mais qui ferait de lui-même ce que moi seul désire ?” – la question que je me pose tous les matins avant d’aller au boulot) et je continue sans vous laisser de répit.

Brünnhilde propose Siegmund, Wotan lui file deux claques. T’AS RIEN ÉCOUTÉ GROGNASSE ?

Charlotte gainsbourg cannes 2009

Et là, TADAM, révélation : on apprend qu’Alberich — qui avait dû renoncer à l’amour pour récupérer l’or du Rhin — a séduit une femme (par de l’argent, hein, y a pas de miracle non plus quand tu es un gros nain ferronnier et moche). Et que celle-ci attend un mélange entre la mouche et Alien.

Ici arrive la grosse crise d’adolescence de Brünnhilde : son père, Wotan, lui demande de ne pas défendre Siegmund quand il combattra contre Hunding afin qu’il perde et qu’il meurt. Mais Brünnhilde, insolente comme elle est — ou plutôt devrais-je écrire “effrontée” ? —

Charlotte gainsbourg cannes 2009

refuse d’écouter son père et c’est quand Wotan pique une grosse colère qu’elle se plie finalement à sa volonté.

On retourne ensuite dans la forêt où Sieglinde et Siegmund convolent toujours. Sieglinde part ramasser des pâquerettes (ou je ne sais quoi) parce qu’elle ne se trouve pas assez pure pour coucher avec son frère (oui, moi aussi, ça m’interroge) quand Brünnhilde arrive soudain et explique à Siegmund tout le pataquès (mais beaucoup plus brièvement que moi).

– Bon, Siegmund, tu peux aller prendre ton sac et récupérer ton flambeau, avec 2 voix contre toi, tu dois quitter l’aventure.
– Pffffffff. POURQUOOOOOOOOOIIIIIIIIII ?
– Bah, c’est comme ça.
– Sieglinde ! Viens, ma chérie, on fait nos sacs.
– Ah non, non, Siegmund, tu m’as mal comprise : toi tu pars, mais Sieglinde reste, elle.
– POURQUOOOOOOOOOIIIIIIIIII ?
– Nan, mais y a plein de meufs trop bonnes là où je t’emmène, au Walhalla.

Seulement cette tête de con de Siegmund ne veut pas partir.

“Puisque c’est comme ça, je vais me tuer avec mon épée super balèze et ma femme avec”, dit-il.

Alors, Brünnhilde, cette jeune sotte, fille de Wotan ne peut pas s’empêcher de jurer de changer le destin et d’assurer la victoire de Siegmund face à Hunding.

Quelques minutes après, Hunding surgit, Siegmund l’attaque et Wotan débarque pour briser l’épée de Siegmund, vu qu’il faut tout faire soi-même ici. Hunding fait de Sigmund de la pâtée pour chat. Brünnhilde fuit avec Sieglinde, Wotan se retourne et envoie un coup de poing tueur à Hunding. L’acte deux s’achève dans ce qu’il convient d’appeler un bain de sang.

Baindesang

La Walkyrie en trois mots et un peu plus

Il y a un an, pile-poil ou presque, je vous racontais en long en large et en travers les tribulations d’un nain, Alderich, et des misères que lui procuraient un anneau et un heaume qui permettait de se métamorphoser en tout et n’importe quoi. C’est par ici. Or, depuis, j’ai vu la suite des aventures trépidantes de la tétralogie de Wagner et je m’aperçois que j’ai arrêté mon entreprise de vulgarisation et je sens que ça vous manque. Si, si, je le sens.

Alors, sans plus attendre, je m’encourage moi-même à continuer, conscient que je suis de l’angoisse dans laquelle vous vivez depuis plus d’un an dorénavant. Mais d’abord, revenons au commencement.

La tétralogie de Wagner est un (long) opéra en un prologue et trois jours, ce qui se traduit en réalité par quatre opéras : L’Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des Dieux. Respectivement : 2h30, 3h30, 4h00 et 4h30. C’est l’apothéose de l’opéra par excellence. C’est aussi ce qui a tué toute tentative de créativité par la suite (j’exagère à peine).

Wagner y a réfléchi et travaillé pendant plus de trente ans d’abord pour l’amour de l’art avec un grand A, mais aussi pour mettre sa famille à l’abri du besoin (parce que la vie de Wagner a pas mal alterné entre la misère la plus totale et la grande vie à la Frédéric Beigbeder, enfin c’est ce que je crois avoir lu dans Cosmo, mais je ne me rappelle plus bien).

Comme il l’écrivait à son mécène, Louis II de Bavière (qui finança en grande partie son théâtre à Bayreuth) : “Il s’agit d’un grand et dur travail […] Le dernier développement très poussé du deuxième acte m’a en particulier fasciné d’une manière telle qu’il m’a souvent fallu m’arrêter dans le ravissement”.

Quoi qu’il en soit, L’Anneau du Nibelung, le nom de la tétralogie, a poussé sur les cendres des légendes germaniques. Je ne sais pas si Wagner avait en tête que le monde entier serait rapidement familier avec les grands contes allemands (et après tout, il s’en est fallu d’un cheveu qu’il en fût ainsi) ou si c’est d’avoir différé et reporté l’écriture du livret, toujours est-il que de but en blanc, quand on commence à lire la tétralogie, c’est quand même pas mal confus.

Et qu’on rajoute des trucs au milieu, et que finalement c’est un demi-homme et pas un demi-dieu, et que le dieu, là, c’est finalement le demi-frère de la sœur de l’autre… Plus on lit le bazar, plus s’ajoute comme ça des petites touches au tableau. Finalement, on termine la lecture de l’œuvre avec un gros mal de tête, surtout si on n’est pas germanophile et qu’on se perd un peu entre les Whillem, Wilhem ou Wihlem.

C’est pour cette raison que je me suis lancé dans ce grand travail de mise à plat de l’Anneau du Nibelung. Pour que plus jamais ça, en somme.

Afin de vous faire vivre tout de même l’œuvre de l’intérieur, j’ai pris la grande décision de me la jouer Wagner et de ne préciser les éléments de l’histoire qu’au moment où ils sont évoqués dans le livret. Ce qui, je vous le dis tout de suite, ne simplifie pas la tâche.

Mais avant de commencer, il faut se rappeler deux choses : a. les dieux sont de sacrés queutards ce qui a pour conséquence principale qu’il n’y a à peu près aucun personnage qui n’a pas un lien de parenté avec un autre (Wotan, le grand chef, étant bien sûr le plus excité du chibre) ; b. les dieux sont soumis à des règles casse-couilles qu’ils ont érigées eux-mêmes et qu’ils n’ont pas le droit de transgresser (alors que s’ils avaient été malins, ils ne les auraient pas proclamées dès le début, et ils seraient toujours les Rois du Monde, comme dirait Dove Attia – en fait, c’est Gérard Presgurvic, mais personne ne le connaît, lui).

Alors j’y vais. Je ne vous refais pas l’Or du Rhin sauf si dans les commentaires vous le réclamez à corps et à cris (enfin, bon, surtout à cris).

Hum.

La Walkyrie

Sieglinde est une Desperate Housewives. Elle dépoussière les meubles à longueur de journée et comme elle habite en forêt avec son mari Hunding, elle a beaucoup de boulot. C’est donc avec un certain ravissement (et une certaine faiblesse pour les plaisirs de la chair), qu’elle se laisse séduire par un homme blessé et sans arme qui arrive chez elle. Cet homme n’a pas de nom — pour l’instant —, et il est “poursuivi par le malheur”. Ça lui parle à Sieglinde. Le malheur, elle connaît. On ne saura que dans deux scènes pourquoi.

Hunding arrive, il claque le beignet de sa femme qui a ouvert la porte à un inconnu, mais offre tout de même l’hospitalité à l’étranger “parce qu’on n’est pas des sauvages non plus”. En même temps, il s’aperçoit que sa femme, Sieglinde, et cet inconnu partagent des traits de ressemblance. Hunding a certainement passé une licence de physionomie à l’université de Nanterre quelques années auparavant, Wagner a oublié de le préciser.

Quand Hunding demande le nom de l’inconnu, sa femme est bien emmerdée : elle a oublié de lui poser la question tellement elle était émoustillée à l’idée d’aider un bel homme dans la force de l’âge. Ça ne plaît pas trop à Hunding qui n’en laisse rien paraître, mais qui demande tout de même à l’arrivant de décliner son identité, de montrer ses papiers et la carte grise du cheval garé dehors (je déconne, il n’a pas de cheval, il a marché).

Siegmund — c’est son nom — préfère se présenter sous un autre nom. Pourquoi ? Parce que ç’aurait été trop simple. Siegmund, l’inconnu donc, dit s’appeler “Wehwalt”, “Voué au malheur” et pas “Friedmund”, “Messager de la paix”. Soit. Ok. Comme il veut. Mais, EN FAIT, on le connaît sous le nom de “Wölfing” (“jeune loup”). Je vois que je fais déjà une entorse à ma contrainte de ne vous dire les choses qu’au fur et à mesure qu’on les apprend dans l’opéra, mais je sens que sinon, je vais pas m’en sortir. Et puisque je suis dans le spoiler, Siegmund est en réalité le fils de Wotan, le Dieu des dieux et Sieglinde est sa sœur jumelle. Leur mère, j’ai pas de précision dessus. Une humaine, sûrement ? Notez que Wotan, mari adultère, a épousé Fricka, gardienne des liens sacrés du mariage. Voyez l’ironie…

Je résume. Nous avons Wehwalt (ou Wölfing) (en fait, Siegmund), un inconnu. Nous avons Sieglinde, la femme de Hunding. Nous sommes chez Hunding qui n’a pas l’air commode. Il est plus tiroir (badam tchak !). Wehwalt raconte alors son histoire : il est né d’un loup (ou son père s’appelait Loup — Wolfe —, j’ai un doute) comme sa sœur jumelle. Un jour, revenant de la chasse avec son père, la tanière est vide : sa mère est morte au milieu de cendres, et sa sœur a été enlevée. Un coup d’Émile Louis ? Non ! Ce sont les Neidinge derrière ce drame humain. Qui sont les Neidinge ? On ne sait pas. L’histoire s’arrête là. Mais a priori, on peut en déduire sans trop se mouiller que ce n’est pas un peuple super sympa de prime abord. La vengeance restait tout de même sur les lèvres de Wehwalt et son papounet et après des années de traque, malheur : le père et le fils se séparent. Ils ne se retrouveront pas. Wehwalt a perdu Loup, son père… Mais, nous dit-il, il a retrouvé une peau de loup. Hum. Dans la forêt. Quelle surprise ! Pas très fute-fute, le Wehwalt.

“Tout ceci ne raconte pas comment tu te retrouves chez moi”, commence à s’énerver Hunding, qui n’en a un peu rien à foutre de l’histoire de Wehwalt et qui a bien envie de retirer ses bottes et de s’allumer une bonne pipe à crack. Sauf que Sieglinde, la gourgandine, boit les paroles de l’inconnu plus trop inconnu et veut en savoir plus : pourquoi est-il arrivé chez eux, blessé et sans armes (ce détail n’a en réalité que peu d’importance, mais semble fasciner Wagner dans son livret) ?

Wehwalt s’explique : un enfant lui a demandé de venir en aide à une jeune fille qui allait épouser un homme qu’elle n’aimait pas. Après s’être battu comme un beau diable, Wehwalt a cassé ses armes pendant le combat, les villageois ont tué la fille et lui il a dû s’enfuir.

Mais pas de bol pour Wehwalt (en même temps quand tu t’appelles “voué au malheur”, faut pas trop croire à la Vierge, surtout dans une légende folklorique allemande), il se trouve qu’Hunding est du clan qui a lapidé la fille en question, qu’il a trouvé ça tout à fait normal et qu’il allait venger les pertes humaines dues à Wehwalt. Conclusion : Hunding compte bien mettre sa race à Wehwalt. Mais demain. Parce qu’en bon hôte, il a promis une nuit de repos au blessé et il ne compte pas revenir sur sa parole. La noblesse a sa façon d’être qui peut échapper au roturier.

Intérieur. Nuit. Wehwalt est dans sa chambre décorée de trophées de chasse. Ici, on apprend une nouvelle chose : le père de Wehwalt lui a promis une épée super costaude et qu’il la trouverait un jour de “détresse ultime”. Ça tombe bien : il est blessé, sans armes et bientôt mort. On a rarement vu une détresse plus ultime.

C’est alors que Sieglinde frappe à sa porte. Elle a carrément drogué son mari. Elle raconte à son tour son histoire : elle a été offerte à Hunding par des brigands. Le soir de ses noces imposées, un vieillard est venu chez eux et a planté au milieu d’un tronc de frêne une épée. De sacrés gaillards ont tenté de la récupérer, jusqu’ici personne n’a réussi. Excalibur inside. Sauf que les Allemands sont un peu plus malins que les Anglais : essayez de faire rentrer une épée dans un gros caillou, vous comprendrez. Ce vieillard, vous l’aurez reconnu, c’est le père de Siegmund.

Ici, je tire le rideau une minute, car Sieglinde et Wehwalt vont un peu coucher ensemble et j’ai envie de cacher nos regards de cet ardent désir qui les saisit. Mais avant, Sieglinde dit à Wehwalt alors qu’il fait son affaire : “tu n’es plus Voué au malheur, maintenant, tu es Messager de la paix (Friedmund), je t’appelle alors Siegmund”. L’autre : “J’adore, ok, je m’appelle Siegmund”. Sieglinde : “Et ton père était un loup ?”. Siegmund : “Non, je déconnais, il s’appelait Wälse”. La femme : “Tu es donc un Wälsung ! Alors l’épée dans le tronc d’arbre est pour toi”. Siegmund : “Cool, je vais l’appeler Notung, épée de détresse”.

Ils ont quand même une grande passion pour donner des noms à tout et n’importe quoi, ces cons.

Sieglinde : “Ah ! Tu es Siegmund ?!” s’étonne-t-elle, alors que c’est elle qui vient de le baptiser ainsi. (Les personnages chez Wagner ont une mémoire de poisson rouge.) Siegmund : “Oui, je suis Siegmund !” (il ne comprend pas plus vite). Sieglinde : “Bah, c’est fou, ça, je suis ta sœur !”. Siegmund : “Cool ! et maintenant on couche ?”

Fin de l’acte I.

Et dire que je voulais faire court.

Rhin en commun

“Quand j’entends Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne”, disait Woody Allen. Ce à quoi Wagner répondait : “C’est pas un juif new-yorkais même pas né qui va m’apprendre à faire de la musique”. Car oui, Wagner était antisémite. Mais il faut ajouter quand même qu’à son époque, c’est plutôt l’inverse qui était rare. D’ailleurs, on rapporte que la seule population qui n’était pas antisémite s’appelait “les Juifs”. Wagner était un peu fou aussi. Après avoir composé L’Or du Rhin, il a écrit à Liszt des choses aussi étranges que “jusque-là mon être s’était maintenu parce que les deux éléments antagonistes du désir arrivaient à s’équilibrer en moi”. Je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire, mais L’Or du Rhin est à tout point de vue un opéra magistral, écrit moitié à l’encre moitié au Panzer.

Je te raconte en deux secondes. Si, si, ça t’intéresse.

Les trois filles du Rhin surveillent l’or du Rhin. Mais “surveiller” pour ces nymphes, ça veut dire surtout dire “nager et sautiller dans l’eau”. Et pendant qu’elles jouent les Muriel Hermine, voilà que débarque le nain Alberich (qui vient du Nibelung). Il s’entiche des filles, tente une connexion avec Chatroulette… mais l’une après l’autre, les trois garces cliquent sur “Next”. Courroucé par tant de mépris, Alberich vole l’or pendant que Wellgunde coiffe Woglinde qui regarde Flosshilde lire le blog de Perez Hilton. Parce qu’avec l’or, il peut faire un anneau qui le rendra super super suprapuissant. Mais pour le forger, il doit renoncer à l’amour. C’est le prix que coûte cet or. Mais comme c’est un nain très moche, il renonce à l’amour. Cut.

Scène 2, acte 1. Wotan glande tranquille avec sa femme Freiza, il attend que Falstof et Fafner, les deux géants verts qui bouffent du maïs aient fini de construire son château. Pour les remercier d’avoir bien bossé, il leur a promis (comme un con) Freia, la gardienne des pommes de l’éternelle jouvence. Autant dire que perdre les pommes quand tu es un dieu, c’est un peu comme si tu étais Superman et que tu te baladais avec un collier en Kryptonite. Quand les deux géants demandent Freia en paiement, Wotan appelle Loge, le demi-dieu du feu et très fort en fourberies, pour lui demander de négocier un autre prix avec Fafner et Fasolt. Ce que Wotan ne sait pas (car il n’est décidément pas ultra-malin), c’est que Fafner et Fasolt (enfin, surtout Fafner, mais si je rentre dans le détail, je vais t’embrouiller, je le sens), veulent détruire les dieux. Et c’est pour ça qu’ils veulent Freia. Car sans les pommes, les dieux dépérissent. Du coup, il est difficile de trouver quoi que ce soit d’équivalent. Mais, Loge a une idée trop maligne : il a rencontré les filles du Rhin qui ont tout balancé sur Alberich, et qui réclament qu’on leur rende l’or. Du coup, il propose aux géants le trésor d’Alberich, puis d’en profiter pour choper l’anneau et la rendre aux filles du Rhin. Pouf, tout est bien qui finit bien.

Loge et Wotan partent dans le Nibelung, rencontre Alberich (qui est devenu un vrai connard à cause de l’anneau et un heaume magique qui le rend invisible), le capture et lui dérobe son trésor, son anneau, l’or du Rhin et le heaume. Tout, en quelque sorte. Le nain, il ne lui reste même plus un slip propre. En sortant, les géants reviennent et acceptent de troquer Freia contre tout le trésor (ce qui inclut l’anneau et le heaume). Mais Alberich a maudit l’anneau quand il l’a perdu. Du coup, Fafner terrasse Fasolt qui voulait garder l’anneau pour lui tout seul. Le con. Wotan (qui le voulait aussi au départ, mais qui a eu une vision lui conseillant de lâcher l’affaire) lance un terrible : “Je crois que cet anneau est vraiment maudit” (il faut dire que le type est assez lent) (même s’il est un dieu). Puis il va chercher sa femme et les autres et ils vont dans le château construit au début, parce que maintenant qu’il a payé, les géants lui ont refilé les clés. Château qu’il baptise Walhalla. Fin.

Ainsi, il y a moins de deux heures trente, j’étais à l’Opéra Bastille en train de descendre les marches de l’orchestre pour accéder à mon siège, et j’ai découvert dans le public quelque chose que je connaissais mal, la grande bourgeoisie en représentation, comme dans un récit du XIXe siècle. En effet, derrière moi, il y avait un grand patron français issu de l’une des deux cents familles de notre pays qui possèdent 80% des richesses. Jusqu’ici, quand je suis allé à l’opéra, j’ai bien vu que le public était plutôt issu des classes sociales élevées (ça, c’est juste pour ne pas écrire “pété de thune”), mais semblait (en tout cas, autour de moi) venir par plaisir.

Or, cette rangée derrière moi ne semblait pas être là pour venir voir l’opéra, mais par obligation, parce qu’il fallait venir voir ce spectacle. C’est déjà assez consternant de découvrir que Pierre Bergé a lancé un genre de souscription “Les Amis du Nibelung” (non, il n’a pas osé : ça s’appelle en réalité “le cercle des amis du Ring”) que tu paies (très) cher (c’est mieux) et comme ça, on te garantit les meilleures places quelle que soit la représentation (place déjà hors de prix), mais encore faut-il se fader toute cette grande bourgeoisie venue parader en costume cravate sur les meilleurs fauteuils.

Donc, derrière moi, ce grand patron (alors je sais pas de quelle boîte, hein, je le dis tout de suite, mais c’était un gros bonnet, j’ai le nez pour ça) était donc installé face à la scène avec sa femme, l’amant de sa femme, l’épouse de l’amant de sa femme, et sensiblement tout les membres du conseil d’administration qui venaient les uns après les autres lustrer cinq minutes les chaussures du grand chef. Quand l’opéra a commencé, ce dieu de l’industrie a bâillé, sa femme a oublié d’éteindre son portable (qui a sonné bien entendu) et les gens du conseil d’administration se jetaient des regards noirs pour savoir lequel allait le premier sauter sur Gros Bonnet dès le spectacle fini afin de lui faire part de son impression.

Et la, grosse révélation pour moi : le grand patron au centre pour ces tontons mafieux, c’est leur Justien Bieber, je te jure. Ils se massacreraient pour lui dire bonjour, avoir sa photo ou lui parler. Je suis même sûr qu’un des mecs du conseil d’administration s’est promis qu’il ne se laverait plus la main depuis qu’elle a effleuré celle de Gros Bonnet. Lorsque le rideau s’est abaissé, Gros Bonnet a commencé à regarder avec une intensité rare son iPhone pendant que les spectateurs anonymes applaudissaient. C’est alors que Lèche-Cul Premier a surgi devant lui tandis que Lèche-Cul Second se mordait intérieurement très fort la lèvre supérieure tout en écrasant les phalanges de la main gauche de son épouse qui arborait un sourire factice de composition.

“Alors, alors, alors, euh, j’veux dire, euh, alors, alors, euh, j’veux dire, euh, vous avez aimé, vous ? euh, j’veux dire, le spectacle, parce que, euh, vous, vous en avez quand même vu beaucoup, vous, des Ring, hein, n’est-ce pas, hein ? mes respects, m’sieur”, a bafouillé Lèche-Cul Premier. Gros Bonnet a souri en levant un sourcil et a dit : “oui, oui, très bien”. Il s’est levé, il a claqué des doigts vers sa femme, et il est parti.

À cet instant, j’ai bien vu qu’il portait à l’annulaire un anneau forgé en or. Et que tout le conseil d’administration que j’avais cru jusque-là fasciné par Gros Bonnet n’avait en réalité d’yeux que pour son précieux.