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Rhin en commun

“Quand j’entends Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne”, disait Woody Allen. Ce à quoi Wagner répondait : “C’est pas un juif new-yorkais même pas né qui va m’apprendre à faire de la musique”. Car oui, Wagner était antisémite. Mais il faut ajouter quand même qu’à son époque, c’est plutôt l’inverse qui était rare. D’ailleurs, on rapporte que la seule population qui n’était pas antisémite s’appelait “les Juifs”. Wagner était un peu fou aussi. Après avoir composé L’Or du Rhin, il a écrit à Liszt des choses aussi étranges que “jusque-là mon être s’était maintenu parce que les deux éléments antagonistes du désir arrivaient à s’équilibrer en moi”. Je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire, mais L’Or du Rhin est à tout point de vue un opéra magistral, écrit moitié à l’encre moitié au Panzer.

Je te raconte en deux secondes. Si, si, ça t’intéresse.

Les trois filles du Rhin surveillent l’or du Rhin. Mais “surveiller” pour ces nymphes, ça veut dire surtout dire “nager et sautiller dans l’eau”. Et pendant qu’elles jouent les Muriel Hermine, voilà que débarque le nain Alberich (qui vient du Nibelung). Il s’entiche des filles, tente une connexion avec Chatroulette… mais l’une après l’autre, les trois garces cliquent sur “Next”. Courroucé par tant de mépris, Alberich vole l’or pendant que Wellgunde coiffe Woglinde qui regarde Flosshilde lire le blog de Perez Hilton. Parce qu’avec l’or, il peut faire un anneau qui le rendra super super suprapuissant. Mais pour le forger, il doit renoncer à l’amour. C’est le prix que coûte cet or. Mais comme c’est un nain très moche, il renonce à l’amour. Cut.

Scène 2, acte 1. Wotan glande tranquille avec sa femme Freiza, il attend que Falstof et Fafner, les deux géants verts qui bouffent du maïs aient fini de construire son château. Pour les remercier d’avoir bien bossé, il leur a promis (comme un con) Freia, la gardienne des pommes de l’éternelle jouvence. Autant dire que perdre les pommes quand tu es un dieu, c’est un peu comme si tu étais Superman et que tu te baladais avec un collier en Kryptonite. Quand les deux géants demandent Freia en paiement, Wotan appelle Loge, le demi-dieu du feu et très fort en fourberies, pour lui demander de négocier un autre prix avec Fafner et Fasolt. Ce que Wotan ne sait pas (car il n’est décidément pas ultra-malin), c’est que Fafner et Fasolt (enfin, surtout Fafner, mais si je rentre dans le détail, je vais t’embrouiller, je le sens), veulent détruire les dieux. Et c’est pour ça qu’ils veulent Freia. Car sans les pommes, les dieux dépérissent. Du coup, il est difficile de trouver quoi que ce soit d’équivalent. Mais, Loge a une idée trop maligne : il a rencontré les filles du Rhin qui ont tout balancé sur Alberich, et qui réclament qu’on leur rende l’or. Du coup, il propose aux géants le trésor d’Alberich, puis d’en profiter pour choper l’anneau et la rendre aux filles du Rhin. Pouf, tout est bien qui finit bien.

Loge et Wotan partent dans le Nibelung, rencontre Alberich (qui est devenu un vrai connard à cause de l’anneau et un heaume magique qui le rend invisible), le capture et lui dérobe son trésor, son anneau, l’or du Rhin et le heaume. Tout, en quelque sorte. Le nain, il ne lui reste même plus un slip propre. En sortant, les géants reviennent et acceptent de troquer Freia contre tout le trésor (ce qui inclut l’anneau et le heaume). Mais Alberich a maudit l’anneau quand il l’a perdu. Du coup, Fafner terrasse Fasolt qui voulait garder l’anneau pour lui tout seul. Le con. Wotan (qui le voulait aussi au départ, mais qui a eu une vision lui conseillant de lâcher l’affaire) lance un terrible : “Je crois que cet anneau est vraiment maudit” (il faut dire que le type est assez lent) (même s’il est un dieu). Puis il va chercher sa femme et les autres et ils vont dans le château construit au début, parce que maintenant qu’il a payé, les géants lui ont refilé les clés. Château qu’il baptise Walhalla. Fin.

Ainsi, il y a moins de deux heures trente, j’étais à l’Opéra Bastille en train de descendre les marches de l’orchestre pour accéder à mon siège, et j’ai découvert dans le public quelque chose que je connaissais mal, la grande bourgeoisie en représentation, comme dans un récit du XIXe siècle. En effet, derrière moi, il y avait un grand patron français issu de l’une des deux cents familles de notre pays qui possèdent 80% des richesses. Jusqu’ici, quand je suis allé à l’opéra, j’ai bien vu que le public était plutôt issu des classes sociales élevées (ça, c’est juste pour ne pas écrire “pété de thune”), mais semblait (en tout cas, autour de moi) venir par plaisir.

Or, cette rangée derrière moi ne semblait pas être là pour venir voir l’opéra, mais par obligation, parce qu’il fallait venir voir ce spectacle. C’est déjà assez consternant de découvrir que Pierre Bergé a lancé un genre de souscription “Les Amis du Nibelung” (non, il n’a pas osé : ça s’appelle en réalité “le cercle des amis du Ring”) que tu paies (très) cher (c’est mieux) et comme ça, on te garantit les meilleures places quelle que soit la représentation (place déjà hors de prix), mais encore faut-il se fader toute cette grande bourgeoisie venue parader en costume cravate sur les meilleurs fauteuils.

Donc, derrière moi, ce grand patron (alors je sais pas de quelle boîte, hein, je le dis tout de suite, mais c’était un gros bonnet, j’ai le nez pour ça) était donc installé face à la scène avec sa femme, l’amant de sa femme, l’épouse de l’amant de sa femme, et sensiblement tout les membres du conseil d’administration qui venaient les uns après les autres lustrer cinq minutes les chaussures du grand chef. Quand l’opéra a commencé, ce dieu de l’industrie a bâillé, sa femme a oublié d’éteindre son portable (qui a sonné bien entendu) et les gens du conseil d’administration se jetaient des regards noirs pour savoir lequel allait le premier sauter sur Gros Bonnet dès le spectacle fini afin de lui faire part de son impression.

Et la, grosse révélation pour moi : le grand patron au centre pour ces tontons mafieux, c’est leur Justien Bieber, je te jure. Ils se massacreraient pour lui dire bonjour, avoir sa photo ou lui parler. Je suis même sûr qu’un des mecs du conseil d’administration s’est promis qu’il ne se laverait plus la main depuis qu’elle a effleuré celle de Gros Bonnet. Lorsque le rideau s’est abaissé, Gros Bonnet a commencé à regarder avec une intensité rare son iPhone pendant que les spectateurs anonymes applaudissaient. C’est alors que Lèche-Cul Premier a surgi devant lui tandis que Lèche-Cul Second se mordait intérieurement très fort la lèvre supérieure tout en écrasant les phalanges de la main gauche de son épouse qui arborait un sourire factice de composition.

“Alors, alors, alors, euh, j’veux dire, euh, alors, alors, euh, j’veux dire, euh, vous avez aimé, vous ? euh, j’veux dire, le spectacle, parce que, euh, vous, vous en avez quand même vu beaucoup, vous, des Ring, hein, n’est-ce pas, hein ? mes respects, m’sieur”, a bafouillé Lèche-Cul Premier. Gros Bonnet a souri en levant un sourcil et a dit : “oui, oui, très bien”. Il s’est levé, il a claqué des doigts vers sa femme, et il est parti.

À cet instant, j’ai bien vu qu’il portait à l’annulaire un anneau forgé en or. Et que tout le conseil d’administration que j’avais cru jusque-là fasciné par Gros Bonnet n’avait en réalité d’yeux que pour son précieux.

Publié dansComprendre Wagner

4 commentaires

  1. Ah ben voilà, faut jamais avoir des places chics à l’opéra ! N’empêche, avoue que le Seigneur des Anneaux, c’est plutôt pas mal, non ? (surtout, il est court, tu pourras pleurer quand tu iras voir le Crépuscule ou les Maîtres Chanteurs ! :-))

    • Alors, oui, oui, le Seigneur des Anneaux, c’est plutôt très bien (dans sa version allemande aussi ;)), et je tiens à dire et insister sur le fait que j’aime beaucoup le Ring (et la musique de Wagner) et que j’ai justement pris l’abonnement à l’opéra de Paris pour être sûr de le voir en intégralité. Ceci étant, l’Or du Rhin n’est pas toujours d’une extraordinaire finesse (mais j’ai particulièrement hâte de voir le Crépuscule !) (encore un an). Voilà, c’est dit.

  2. Bravo pour ce résumé total. Prochaine étape, Bayreuth! Là, tu risques d’en voir du capitaine d’industrie en quête de respectabilité culturelle. 🙂

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