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Mois : décembre 2013

Cahiers interdits (4) / Un succès qui dérange

Pendant 4 ans, Gaston Petipetons fut journaliste dans un magazine consacré à la télévision. Quarante ans plus tard, en fouillant dans les affaires de son mari, sa veuve a retrouvé ces cahiers qu’il rédigea à l’époque et qui constitue un témoignage bouleversant sur le métier de journaliste au début de ce millénaire. C’est ce que nous vous proposons de lire aujourd’hui.

Si vous avez manqué le début…
Le premier épisode.
Le second épisode.
Le troisième épisode.

Le boulot de journaliste

Vendredi 4 novembre 2011

A la cantine, chaque midi, c’est la catharsis. On évacue tous les sujets qui nous brûlent les intestins. Et comme on passe dix à douze heures ensemble, autant dire qu’on en a souvent pas mal sur la patate. En fait, c’est pas qu’on se déteste, mais par moment, ça ressemble un peu à de la haine quand même. Surtout quand il y a un voyage de presse à l’horizon et qu’on veut tous y aller (ou tous ne pas y aller, mais c’est une autre histoire). Et la cantine, c’est aussi l’occasion pour les « anciens » de la rédaction de nous prodiguer de bons conseils pour notre survie dans l’entreprise ainsi que de nous faire revivre leur propre histoire, un peu comme les mecs se racontent leurs blessures de guerre dans les films d’actions. « Tu vois Chico, ça, c’est une balle de long-rifle qui m’a touché pendant une interview de Mimi Mathy. Elle est passée à ça de mon bulbe rachidien. J’ai manqué finir ma vie avec en entendant pour la millième fois qu’elle aimerait refaire un one-woman-show ».

Michel, notre rédacteur en chef adjoint, dix ans de maison, a plein d’anecdotes en stock. l’autre jour, il nous a raconté une histoire qui datait de 2003. Il était alors rédacteur et pas « en chef adjoint », et il se fait convoquer dans le bureau de la Chef, un lundi matin, le jour du bouclage. « Michel », lui dit-elle, « on change l’article de une, on va faire un truc sur la Star Academy : l’émission de samedi a cartonné donc il faut un sujet là-dessus dans le journal ». Ok, dit en substance Michel. Et la Chef ajoute : « Le titre, c’est : ‘Star Academy : l’émission qui dérange’, sors du bureau maintenant, tu as jusqu’à 14 heures ».

J’arrête alors Michel dans son l’histoire et je lui demande : « Mais… Tu as fait quoi alors ? Tu as trouvé qui l’émission dérangeait ? ». Et il me répond : « Ouh la ! Oui. L’émission dérangeait les producteurs parce qu’elle avait trop de succès, elle dérangeait les autres chaînes parce qu’elle faisait trop d’audience, elle dérangeait les artistes qui n’étaient pas invités. Elle dérangeait tout le monde ».

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Et voilà donc qu’aujourd’hui, vendredi, c’est moi qui suis convoqué dans le bureau de la Chef. A l’intérieur, il y a les chefs de rubrique, les rédacteurs en chef adjoint. Tout le monde planche sur la couverture. Au fond de la pièce, sous la fenêtre, il y a un énorme crocodile qui ressemble à celui de Lacoste, en porcelaine, je crois. Quand je l’ai vu, je me suis mis à appeler son bureau « l’antre du dragon », et moi, je suis un hobbit. Le matin, nous avons fait comme chaque vendredi notre conférence de rédaction. Elle est arrivée en retard alors j’avais un espoir, c’était de parler avant qu’elle ne débarque. Chacun de nous ayant son petit domaine de prédilection, on organise un tour de table, je suis toujours le dernier à prendre la parole, juste avant qu’on attaque la « semaine télé » proprement dite avec les grands événements des sept jours à venir pour décider des sujets. Je prie pour passer avant qu’elle n’arrive, et je fais de gros regards au rédacteur en chef adjoint pour qu’il me permette de parler avant la fin du tour de table.

Hélas, il ne comprend pas ma détresse et je vois les minutes passer et les risques qu’elle arrive avant que je parle de plus en plus élevés. Finalement, elle arrive au moment où je dois parler. Du coup, elle n’écoute rien de ce que je dis, mais ponctue toutes mes propositions de « So what ? », « Next » évocateurs de l’intérêt qu’elle leur porte. Je finis mon intervention par rappeler que j’ai vu le Twilight 4 et que j’ai une interview Robert Pattinson.

C’est donc pour Twilight que je suis convoqué en ce début d’après-midi : doit-on faire la couverture sur le film ou pas ? Quand soudain, une fulgurance d’un journaliste dans la salle donne la réponse à l’auditoire : « On pourrait titrer : Twilight 4 / Les ados adorent, les parents s’inquiètent« . Banco, dit ma Chef et je suis éconduit du bureau si vite que j’ai à peine le temps de me retourner pour dire :

– Mais ils s’inquiètent de quoi, les parents ?
– Tu trouveras bien.

twilight

Le bon sens en action

Je ne connais pas Guy Birenbaum, je le suis sur Twitter, je le lis sur le Huffington Post, je le vois à la télé, je l’écoute (pas souvent) sur Europe 1, mais je ne l’ai jamais rencontré ni vu ni parlé et je ne doute pas que « dans la vraie vie, il est très gentil ». En revanche, dans la vie irréelle des internets, je le connais plutôt bien même si je n’ai aucune idée de son métier. Je l’imagine éditeur / journaliste / polémiqueur. Mais je crois surtout que son métier, c’est spécialiste. « Spécialiste de quoi ? », pourrait-on me demander. « Spécialiste sur le tas », comme le répondait Robert Bidochon à un présentateur télé l’interrogeant sur sa venue dans une émission de témoignage dans l’excellent album de bédé « Les Bidochons Téléspectateurs ». Internet, politique, immigration, santé, médecine, société, il n’y a pas un sujet sur lequel Guy n’a pas un avis. Et surtout un avis tranché et définitif. Un avis qu’il partage notamment dans une série qui s’appelle « Birenbaum bashe (remplacer ici par n’importe quel sujet d’actualité) ».

Son omniscience semble ne pas avoir de limite (oui, c’est redondant, je vous emmerde) : Marseille, Lampedusa, les vapoteurs, Montebourg, Facebook et j’en passe. MAIS surtout, il est systématiquement et TOUJOURS du côté de la veuve et de l’orphelin quel que soit le sujet (les homos, les électeurs, les malades, le contribuable, les enfants…), et avec un bon sens qu’il érige souvent comme une prise de position radicale. « Le Front National, c’est mal ! Et non, je n’ai pas peur ! J’ose le dire, et je l’ai déjà dit il y a un an et et il y a deux ans, m’en fous ! Rien à battre ». « Ceusses qui likent le bijoutier de Nice, c’est mal ! Eh ouais ! Et je vous unfollowe, et j’ai pas peur ! Et tant pis si je me fais des ennemis ». « Voler l’argent public, c’est dégueulasse ! J’dénonce, rin à péter ! ».

Je lui en veux pas, hein, chacun fait ce qu’il peut pour casser sa croûte, mais toute cette « saine indignation », comme disait ma grand-mère, ne pourrait-elle pas servir à élever l’âme de nos contemporains plutôt qu’à les diviser ? Quand on lit les commentaires, c’est systématique : il y a ceux qui étaient déjà d’accord avec l’auteur qui affichent leur contentements (façon « j’espère que ce très beau texte ouvrira les yeux aux racistes du monde entier ») et ceux qui étaient déjà contre et qui sont encore plus en colère qu’auparavant (façon « Et si c’était votre fils qui avait été le bijoutier de Nice ? »).

J’ai cité Guy, mais il n’est pas le seul. Il y en a un autre, peut-être pire, c’est Christophe Conte. Critique de disque devenu « chroniqueur bad boy » sur le blog des Inrocks, il rédige des « billets durs » où il ne se prive pas d’attaquer les personnes avec qui il est en désaccord. Il s’en prend même à François Hollande. Ça, c’est pour dire qu’il égratigne les puissants. Bon, c’est pour lui dire qu’on attend encore les résultats de l’élection de 2012. Mais quand même. Dans les faits, c’est pareil : de la diatribe agressive dont le but est de générer désespérément du trafic et qui, à la longue, fatigue. Ça fatigue parce que bon, comme l’a dit Maickel Melamed : « Etre en vie est la plus belle chose qui puisse vous arriver. Tirez-en parti, et partagez ça autour de vous ». Alors plutôt que de nous rappeler le merdier dans lequel on vit, Guy, Christophe, vous ne voulez pas nous élever ?