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Mois : novembre 2022

Oh ! C'est intime. Vous lisez pas !

Mon second mandat

Ma grand-mère est morte. Je l’écris ici avant tout pour forcer l’empathie de l’hypothétique lecteur. “Oh mon Dieu, sa grand-mère est morte, c’est très triste, mes condoléances, bisous”. Ma grand-mère est morte, et ça m’a rendu très triste, mais elle avait cent ans – bientôt cent un. Elle vivait depuis plusieurs années dans une maison de retraite, où tout se passait bien disait-elle. Et même si j’ai longtemps pensé qu’elle resterait immortelle, je sentais bien que la machine commençait sérieusement à gripper. Mais cent ans, tout de même, c’est beau.

Quoi qu’il en soit, ayant relativement été peu confronté à la mort, sa ma fé réfléchir, comme disent les boomers (un jour, je vous raconterai à quel point je déteste ce détournement du mot “boomer” pour caractériser toute personne n’ayant pas son avis et comment j’y vois un jeunisme malsain qui ne dit pas son nom, mais ce n’est pas le propos ici, merci de rester concentré). J’ai regardé la liste de mes objectifs en attente depuis des décennies sous prétexte que “je le ferai quand j’aurai le temps”. Et la réalité m’a frappé de plein fouet (c’est une figure de style, je ne suis pas masochiste). Il serait temps que je me bouge.

L’une d’entre elles n’avait rien de difficile, si ce n’est de se décider d’agir. Elle consistait à numériser les films pris par ma famille pendant ma jeunesse et les miens pris lorsque j’étais membre du club vidéo de mon lycée. Au détour de cette numérisation effrénée (façon de parler : j’ai déposé les cassettes après les avoir rembobinées dans un centre de numérisation, mon action a principalement consisté à sortir le chéquier) (j’utilise intentionnellement de vieux termes dans cette notule pour que vous me boomiez autant de fois la gueule que vous le souhaitez), je suis tombé sur le visage de cet enfant innocent (ou la tronche du joker, j’avoue que j’hésite encore) :

L’est-y-pas-mignon

Oui. C’est moi. Genre à dix ou onze ans. On trouve peu d’images de ma personne, car j’ai toujours détesté être filmé ou photographié. D’ailleurs je continue aujourd’hui, mais je l’impute dorénavant à une calvitie dégueulasse qui rend mon visage encore plus malsain qu’un tueur en série de films hollywoodiens (et pourtant, je vous jure, je suis super sympa) (quand on me connaît).

Bref.

Et il y a quelque chose d’étrange quand je regarde ce visage. Pas vraiment une nostalgie. Car bien que j’ai connu une jeunesse sans problème, mon manque cruel de confiance en soi, ma naïveté sûrement charmante (mais surtout navrante) et ma difficulté d’intégration pour cause de désintérêt général des passions classiques d’adolescents (le triumvirat foot, rap, joint) ne me font sincèrement pas regretter cette période de ma vie (cette phrase est longue et probablement incorrecte d’un point de vue grammatical, je sais).

Pas une nostalgie donc, mais une question qui me taraude. Est-ce que l’adulte que je suis devenu a déçu l’enfant que j’étais ? Oui. Je sais, ça fait tarte (ou tartignole) écrit ainsi. On oscille entre Marc Levy ou Françoise Dolto. Mais à l’heure de mon second mandat de présence sur Terre, déjà bien entamée, je crains que mon jeune moi n’aurait pas renouvelé son vote s’il avait eu le choix. Du haut de mes quarante-six ans (cf P.S.2), j’ai l’impression qu’il ne m’apprécierait pas tant que ça, s’il savait ce qu’il était devenu : un pleutre banlieusard sous influence qui éructe sur Twitter des propos incohérents avant de s’effondrer de fatigue dans un vieux lit creusé par la vacuité de sa vie.

Mais ne sombrons pas dans une déprime dorénavant bien trop collante aux baskets de mon existence. Après tout, je pourrais tout autant l’accuser ce sacripant. Désolé, mon petit bonhomme, mais je suis le résultat de ton manque de persévérance à l’école et de tes mauvaises fréquentations. Trop facile de me remettre la faute dessus !

Bon, allez, tu sais quoi ? Viens. On fait la paix.

P.S.1 Cette notule contient un jeu-concours. Devine le nombre de fois que tu peux écrire “OK, boomer”, après une phrase et gagne ton poids en dosette Tang !

P.S.2 Cette notule a été écrite en mai 2021, mais comme j’ai ressorti mon blorgue du frigo, je me suis permis de vous la resservir froide (et malheureusement, les notules, ce n’est pas comme les lasagnes, la fournée est souvent meilleure le jour même que réchauffée le lendemain).

P.S.5 Oui, j’en ai achetée une, et ça, je pense que ça aurait beaucoup plus à mon moi de dix ans.

Vie magique

Crise de la p(a)resse

Car ma vie c’est un manège,
Et mon Dieu que ce manège tourne bien.

Nicoletta

L’algorithme de Netflix, toujours prompt à me jouer des tours, m’a proposé de regarder “Le Jouet” de France Veber, film de 1976. Je l’avais vu tantôt, et plutôt tôt que tant, donc je me souvenais de Pierre Richard qui est “acheté” comme jouet par le fils du patron de sa boîte, multimilliardaire. J’avais oublié (occulté ?) que le patron en question détenait un journal, France Hebdo, et que Pierre Richard incarnait un journaliste fraîchement engagé, Francois Perrin. Le film débute ainsi par Pierre Richard qui se fait engager après une période de chômage de “17 mois et six jours”.

Quinze minutes après le début du film, Rambal-Cochet, le multimilliardaire, renvoie Gérard Jugnot, autre journaliste, sous le prétexte qu’il a “les mains moites”. S’ensuit une scène devant le Panthéon où Jugnot plaide sa cause et devant l’inaction de ses collègues part courroucé en affirmant : “Dans n’importe quelle autre entreprise, on aurait fait une grève”. Perrin s’interroge : “On pourrait faire quelque chose peut-être ?” avant que le photographe du journal n’assène cette phrase : “Pour te retrouver au chômage ? Tu sais que ça ne va pas bien dans la presse en ce moment ? Non, tu as intérêt à te faire tout petit, mon pote, crois-moi”.

Ça ne va pas bien dans la presse en ce moment ; le secteur de la presse est en crise ; ça va mal dans la presse ; c’est dur pour les journaux aujourd’hui

Ces phrases que j’entendais à peu près toutes les trois semaines à mes débuts dans les années 2000 et que j’entends aujourd’hui tous les trois jours étaient déjà prononcées en 1976. À croire que ce secteur n’a jamais connu la moindre prospérité. Qu’il n’a cessé d’être un secteur qui perdait de l’argent. Mais alors, pourquoi intéresse-t-il autant Bolloré, Niel, Drahi, Dassault ou Arnaut ? Pourquoi des multimilliardaires, comme dans Le Jouet, investiraient-ils dans un secteur perdant de l’argent ? On me répondra classiquement “pour des raisons d’influence, ils achètent ainsi l’opinion des gens” ou “par philanthropie”. Mais, franchement, je n’y crois pas. Ça participe au bout du compte à grossir leur capital (que ce soit par des réductions d’impôts ou par les bénéfices des journaux).

Franchement, quel secteur, perdant de l’argent depuis plus de cinquante ans, garderait le soutien de multimilliardaires ? Aucun. Que les journaux gagnent moins qu’avant, c’est une certitude, mais s’ils en perdaient tout en restant soutenus par des fonds privés, ce serait une hérésie financière.

Où je veux en venir ? Aucune idée. Mais, vivre au quotidien dans (et de) ce secteur en crise perpétuelle devient particulièrement pesant. Savoir que toute son expertise ne vaut rien, car on préférera toujours un journaliste pas cher à un journaliste expérimenté (du moins, c’est ce que j’entends et qu’on me répète jusqu’à la nausée), joue sur mes nerfs. Serait-il temps de changer, de bifurquer, de donner une “nouvelle impulsion à sa carrière”, comme on lit dans les mails de départ des dirigeants qui ont gentiment été poussés vers la sortie ? Peut-être. Mais pour quoi faire ? En tout cas, si l’herbe est noircie partout, dans le secteur de la presse, une chose est sûre : elle ne repoussera jamais.

À question nulle, réponse nulle

Et tu as fais quoi de ta vie ?

Je ne crois pas vraiment qu’il y ait une raison à notre existence sur Terre, à part probablement celle de ruiner la planète. Si vous voulez mon avis (et même si vous en le voulez pas), nous sommes les punaises de lit de l’univers. Il cherche à nous éradiquer depuis 300 000 ans, mais quand bien même il utiliserait les pires instecticides, bah on survit. Il a tenté la glace, le feu, les coulées de boues et les météorites, mais on est sacrément coriace. Et on vient l’achever en lui piquant toutes les bonnes énergies qu’il s’était planqué à quelques centaines de mètres sous le sol pour être sûr que personne ne vienne y toucher.

J’ai lu l’autre jour L’homme des jeux de Iain M. Banks et une phrase m’a marqué (le bouquin était génial dans son ensemble) et disait quelque chose comme “les organismes vivants sont globalement des consommateurs d’énergies” (je n’ai malheureusement pas retrouvé la citation, parce que je la cherche, mais le livre fait plus de 400 pages, alors déso).

Donc, finalement, la question de savoir ce qu’on a fait de sa vie n’a factuellement aucun intérêt. Je ne sais pas si je suis le seul à m’en étonner, mais dès que quelqu’un meurt, on peut lire des messages comme : “C’était une belle personnne, elle avait tant à nous offrir, elle était extrêmement talentueuse, le monde a perdu quelqu’un de précieux”. Mais si elles étaient toutes des individus extrêmement douées ou précieuses, les archives nationales ne surviraient pas à tout conserver.

Non. Nous ne sommes qu’un gros amas de cellules qui absorbent des nutriments pour les faire survivre. C’est d’ailleurs parce qu’elles ont le bon goût de collaborer entre elles qu’on arrive à des organismes d’une complexité incroyable comme l’être humain ou le tardigrade. Si jamais l’une d’entre elles décide de la jouer cavalier seul, c’est en général le chemin vers le cancer (c’est ce que j’ai retenu de l’expo à la Cité des sciences et de l’industrie sur cette maladie, mais j’ai peut-être mal écouté).

La question est de savoir comment combler son existence. Certains ont pour objectif d’être les plus riches du cimetières. D’autres de se faire connaître. Pour ma part, j’ai choisi la voie de l’oblomovisme. Je vous copie colle la définition de Wikipédia : “un mélange d’apathie, de léthargie, d’inertie, d’engourdissement, de rêverie inactive, qui se manifeste dans l’horreur du travail et de la prise de décision et la procrastination”.

Mais comme une fois par an, je débourse pas loin de 60 euros (merci l’inflation) pour que ce site survive, je pense qu’il est important pour moi de sortir de ma réserve et de justifier vaguement cette dépense complètement inutile, non ?

Je vous remercie de m’avoir lu et de me notifier les fautes de français dans les commentaires.

Des bisous.