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Auteur/autrice : Romain

La DSI, ce panaris sur le doigt de Django Reinhardt

Préambule
Ceci est un pastiche. Que ce soit bien bien clair :

logo2015

Au boulot, depuis l’année dernière, nos dirigeants n’ont qu’une idée en tête : nous sim-pli-fier le travail. À cela, une raison simple : ils ont viré la moitié des salariés. Comme ils n’ont pas fermé la moitié des journaux, il faut bien faire le double de travail. Donc il est impératif de “fluidifier les flux de process interpersonnel” (ou une connerie du genre, je m’y connais assez mal en vocabulaire de bullshit manager marketeux).

Quoi qu’il en soit, il y a six mois, le Grand bond en avant a débuté par l’arrêt des commandes de coursiers par téléphone. Auparavant, nous appelions un opérateur qui nous demandait la date, l’heure et l’adresse de livraison, et roulez jeunesse. Dorénavant, c’est beaucoup plus pratique. On se connecte sur le site internet des coursiers avec un compte temporaire qu’on demande à l’assistante de direction. Là, on renseigne le type de course, l’adresse de départ et d’arrivée à formater exactement selon un codex inconnu (on y va à tâtons, à chaque validation, on regarde l’endroit qui s’affiche en rouge, preuve d’une mauvaise graphie et on tente une nouvelle nomenclature, jusqu’à ce que ça fonctionne), ensuite on coche (ou décoche) une dizaine d’options destinées à nous prévenir par SMS pour 4,50 euros supplémentaires que le coursier a récupéré le paquet et pour la bagatelle du double, s’il a bien été livré.

Ensuite, la société édite une facture que doit valider l’assistante de direction et elle passe dans les bureaux en te demandant si c’est bien toi Louloudu74, ton login temporaire obtenu au moment de la commande de la course.

Lim-pi-de.

Mais ça ne suffisait pas. Ce gain de temps incontestable devait pouvoir encore s’améliorer grâce à une autre opération autrement plus fréquente que la commande d’un coursier : l’impression de documents.

Jusqu’ici, on cliquait sur le bouton “Imprimer” depuis l’ordinateur. Ensuite, on se rendait devant le copieur et on récupérait son impression.

“Bien trop long. Où est l’efficacité ? Où est le dynamisme ? Tout ce temps perdu, mais c’est juste pas POSSIBLE”, a hurlé la DSI (la DSI, ami chômeur, c’est la direction des systèmes informatiques, grosso modo, c’est un panaris sur le doigt de Django Reinhardt). Donc la DSI a eu une idée géniale : badger pour imprimer.

En pratique, dorénavant, tu cliques sur le bouton “Imprimer”. Tu vas devant le copieur. Tu badges. Tu sélectionnes “Secure Print”. Un tableau s’affiche avec toutes les impressions que tu as lancées. Tu cliques sur l’une d’entre elles. Tu attends que l’imprimante règle ses demi-teintes, puis tu patientes le temps de l’impression. Tu récupères tes papiers, tu sélectionnes l’impression, tu la supprimes (sinon, la liste devient longue comme le bottin) (plus personne ne sait ce que c’est le bottin, je suis au courant). Et surtout, tu te déconnectes, sinon ton compte pourrait être COMPROMIS.

Rien à dire. La productivité a fait un bond en AVANT. Merci la DSI !

Et puis, aujourd’hui, on nous change encore un truc qui va nous simplifier tellement la vie qu’on se demande vraiment comment on a pu vivre sans, bon sang, mais sérieusement, c’était l’âge de pierre encore hier. Nous étions les Cro-Magnon de l’entrepreneuriat français, nous sommes désormais Christophe Colomb foulant pour la première fois le continent américain.

Auparavant, on finissait de rédiger nos articles dans Word et on les glissait dans un dossier sur un serveur baptisé “Pour relecture”.

Non, mais ohhhhhhhh ! Tu te crois où, mec ? Au moyen-âge ? Réactualise, gars.

Dorénavant, nous avons basculé sur le merveilleux logiciel PUBLISHING NOW ! (le point d’exclamation est obligatoire, son oubli entraîne l’obligation de s’enfoncer une tige métallique dans l’urètre sous le regard des cadres de la DSI)

On termine le texte. On ouvre Firefox, on va sur l’outil de PUBLISHING NOW !, on se connecte avec son compte, on se rend sur le numéro en cours de fabrication, on cherche le dossier de l’article en question, on “active” la session avant de créer un nouvel “article” (tous les mots entre guillemets sont issus de la terminologie officielle de PUBLISHING NOW !) dans le trieur à l’intérieur duquel on copie et colle chaque partie de l’article selon la catégorisation “Surtitre / Titre / Auteur / Chapo / Texte / Encadré”. Puis on “envoie” sur le serveur l’article qu’on “termine” (l’expression consacrée, a priori très connue des Néerlandais, les éditeurs de PUBLISHING NOW !) pour le faire basculer en mode “vérification” que notre rédacteur en chef devra “valider” afin que l’article passe en mode “Pour relecture”.

Je ne sais pas comment ce journal a pu sortir 25 ans sans ces avancées technologiques qui ont révolutionné toute ma vie en moins de six mois.

Alors évidemment, quand j’ai demandé ma première augmentation après cinq ans de bons et loyaux services, on m’a rétorqué avec une justesse indéniable : “La modernisation de notre entreprise a épuisé les crédits de revalorisation des salaires, mais l’absence de réembauche grâce à notre productivité améliorée devrait permettre un maintien de votre emploi encore trois ans”.

Et j’ai reçu un mail pour m’inciter à partir préventivement à la retraite.

Cape d’invisibilité

La semaine dernière (“c’était un mardi” c’était un samedi), j’étais à la piscine Georges Hermant dans le cadre de la Nuit de l’Eau, mais on s’en fout, c’est pas là où je veux en venir, je place juste ici le contexte, car cette histoire respecte l’unité de temps, de lieu et d’action. Ouais, je suis le Boileau du blog.

Où j’en étais avec ces conneries ?

Donc, voilà, je suis où je suis, je m’occupe de glander tout en simulant une activité intense respectant un cahier des charges précis de fainéantise quand voilà-t-y pas que débarque quelqu’un que je connais. Un autre blogueur d’il y a mille ans, qui est journaliste, que j’ai vu plusieurs fois, avec qui j’ai déjeuné, avec qui j’ai parlé et tout ça et tout ça. C’est pas un ami à la vie à la mort, je l’ai probablement pas croisé depuis un an, mais je le range dans la catégorie des “gens que je connais par les Internets, mais que j’ai aussi rencontré dans la vraie vie et qui sont sympas et que j’aime bien revoir sans pour autant chercher à caler le rendez-vous avec Doodle”. Une catégorie assez large somme toute.

Bref, je m’approche de cette connaissance et je lui lance un “Hey [REDACTED] ! Ça me fait plaisir de te voir ! Comment ça va ?”.

Silence gêné en face.

Silence gêné de ma part.

[REDACTED] finit par répondre : “Pardon… Mais on se connait ?”

Silence embarrassé de ma part. Je me chante cette petite chanson dans la tête :

Nous reprenons :

– Euh… Ouais… Enfin, un peu… Romain… L’artichaut sur Twitter. T’vois ?
– Ahhhhhh. Oui, oui, oui. Bien sûr !

Quand tu en arrives au point où une connaissance se rappelle de toi par ton avatar sur un réseau social, c’est que tu as clairement raté ton personal branling.

2015, un grand cru

Quelle année, mais quelle année ! Ah, c’est simple, à la seule idée, ce matin, de faire comme tout le monde mon traditionnel bilan de l’année passée, j’ai eu une exaltation de joie (je déconne, cherchez pas, je crois jamais avoir tracé un seul bilan de ma vie, ou alors seulement un dépôt de bilan à la demande de mes créanciers, associé à un surendettement chronique).

J’ai a-do-ré tous les jours de 2015. Franchement, je sais, vous allez me dire “Euh… T’as fumé la moquette, Romain ?” (accessoirement, je pense qu’on ne dit plus cette expression depuis le milieu des années soixante-dix). Non. Non. NON. Trois fois non !

Mais pour apprécier cette année, il faut arrêter de la regarder par le prisme biaisé des merdias et des journalopes. Il faut un peu ouvrir les œillères, regarder au-delà du mur, plonger dans ses chakras et les samossas dans la friteuse.

D’abord à titre purement personnel : en 2015, j’ai fêté mes quarante ans. Rien qu’à l’écrire, je ne ressens absolument pas une grosse dépression venant de l’ouest plongeant la France sous un ciel clément pour tout l’hiver. Quelle joie ! Quarante ans, enfin ! J’ai réussi à vivre un peu plus d’une moitié de vie. C’était pas gagné. Heureusement, mes parents ont eu à leurs charges les trente-cinq premières, sinon j’aurais déjà fini sous les ponts. Et quels accomplissements ai-je réalisés… La liste est tellement longue : j’ai réussi à ne jamais écrire de roman, contrairement à de nombreux confrères journalistes. Je n’ai absolument pas évolué professionnellement. Je gagne même moins bien ma vie qu’avant. Pas grand-monde qui peut se vanter de ça… Et surtout, je n’ai aucune perspective d’avenir : mon salaire n’a pas bougé depuis cinq ans et restera le même en 2016, aucun poste ne s’ouvre à l’horizon, personne ne me réclame à corps et à cris et tente de me débaucher à coups de stock options et de parachutes dorés. Je n’ai donc aucun besoin de montrer le moindre engagement et le moindre dévouement et le moindre enthousiasme pour mon travail. De quoi me plaindrais-je, franchement ?!

Ensuite, j’apprécie de plus en plus ma vie de banlieusard. La banlieue, c’est gé-ni-al. Bien sûr, vous ne vous en rendez pas compte, mais on a tout avant les autres. Par exemple, la fermeture des transports en commun chaque soir avant ceux de Paris. Bisque bisque rage, les parigots ! Autre exemple : vu que ma fenêtre donne sur l’entrée de l’A6 dans la capitale, j’aurais sans le moindre doute un cancer dû à la pollution avant tous ceux qui habitent à la campagne. Et toc ! En plus, de l’autre côté de la rue, il y a une épicerie qui est ouverte tout le temps. Je crois qu’elle ne ferme que de 9h à 9h30, c’est tout. Ce qui veut dire que j’ai jamais à m’en faire s’il me manque mes deux flasques de Smirnoff et mes trois litres de bière quotidiens pour me mettre minable avant de m’endormir tout habillé sur mon canapé devant Top Chef. Si c’est pas la belle vie, sérieusement, je sais pas ce qu’il vous faut.

Et puis, merde, même à l’échelon international, cette année a été merveilleuse. Regardez les autres cons de Daesh : ils ont sauvé l’industrie de la presse alors qu’elle était en pleine déconfiture. Les ventes des journaux relancées, les chaînes de télé employant des stagiaires à tour de bras pour les former… À bien y regarder, ils ont plus fait pour réduire le chômage que le gouvernement. Pareil pour la culture : dorénavant, les gens affluent à la Philharmonie de Paris ! Tout le monde sait très bien qu’il n’y a aucune chance que des terroristes viennent avec des kalachnikovs massacrer les férus de musique classique. Eh ouais, les classicos prennent leur revanche. C’est fini le rock ! Lemmy de Motörhead l’a si bien compris qu’il a préféré ne pas passer l’hiver.

Mais attendez, attendez, il y a mieux : la montée de Marine Le Pen, c’est peut-être pas une bonne nouvelle, ça ? Pour une fois qu’un truc marche bien en France, et on se plaint ! Quand on se rappelle que le papa a débuté sa carrière comme éditeur de disques vinyles des discours de Hitler et qu’on voit où toute cette petite smala est arrivée, ça fait plaisir. L’esprit d’autoentrepreneur, y a que ça qui fonctionne. Enfin, tout le monde ne le comprend pas, malheureusement. Demandez à la bonne à tout faire d’Inès de la Fressange. Tiens, c’est peut-être mon seul bémol de 2015. Pauvre Inès… Elle et son mari, Denis Olivennes, se retrouvent devant la justice, attaqués par leur domestique pour “travail dissimulé et licenciement abusif”. Non, mais n’importe quoi. Elle était payée rubis sur l’ongle de sa patronne et résidait dans une bicoque en lisière de forêt pour moins de 350 euros par mois qu’elle payait à ses employeurs. Qu’elle cherche une telle place à Paris, tiens. Ça, vous voyez, ça m’énerve. Mais qu’on laisse les gens riches tranquilles, nom de Dieu ! Ah, non, vraiment ça me met hors de moi. Je serais eux, je ne comprendrais pas cet acharnement.

Enfin, l’apothéose : la déchéance de nationalité pour les terroristes. Ça, ça fait plaisir ! Ça finit bien l’année, ça ! Enfin un gouvernement socialiste qui – contrairement à ce triste sire de Jospin – démontre avec brio que, même au pouvoir, on sait rester des guignols. Et ça, c’est vraiment l’esprit français ! Vivement 2016.

Monde de merde

Coming Out

La journée passait comme un charme ; les cours s’étaient finis sans encombre, même mon 3 en Espagnol n’avait pas réussi à m’attrister. Enfin, je crois. De l’année de ma terminale, les souvenirs ne se bousculent pas. Le seul événement notable qui me revienne, c’est le prof de maths qui fut arrêté en janvier. On ne savait pas pourquoi. Certains disaient qu’il avait un cancer. D’autres disaient qu’il avait le sida. Parce qu’il était efféminé, avec une large barbe taillée. Alors, il devait être pédé. Pédé. L’insulte était tellement fréquente avec les copains que, faussement, je n’y prêtais aucune attention, mais à chaque fois qu’on me traitait, je craignais que mon secret fut découvert. Ce secret, c’était une souffrance sourde et amère. Un foyer incandescent qui brûlait mes entrailles chaque fois que je me masturbais en rêvant à des garçons couchants ensemble. L’année précédente, Canal+ avait diffusé sa première nuit gay. En catimini, j’avais enregistré le programme sur une cassette VHS que je cachais sous mon lit. Profitant de l’absence de mes parents, ou tard la nuit, lorsque je les imaginais endormis, je la regardais avec excitation. Et puis revenait ma bestiole : la honte. L’atroce honte de préférer ça aux films de cul devant lesquels mes copains se pognaient. De rage, un jour, j’ai pris la cassette et j’ai tiré la bande jusqu’à en faire un monticule devant moi. J’allais me libérer de cette malédiction.

C’est le mois de mars. Mardi soir, pas loin de mon anniversaire. J’ai encore seize ans. « Cette connerie d’être pédé, c’est une phase, c’est sûr, ça va passer. Ce n’est pas possible autrement, je flippe juste parce que je ne mate pas les filles comme les autres, mais ça va venir, ça va venir, c’est obligé ». Ce soir-là, Arte diffuse Fame. Le film d’Alan Parker. J’adore Alan Parker depuis que j’ai vu Midnight Express, loué dans le vidéoclub du village dans une version anglaise sous-titrée anglais. Dans sa prison, le héros tombe sous le charme d’un détenu suédois. Je crois même m’être branlé en pensant au moment où ils font du sport ensemble. Fame, je n’ai jamais vu, mais je connais la série. Alors, j’ai envie de le regarder. Et au milieu du film, je fonds en larme. Le rouquin, qui deviendra le docteur Romano dans Urgences, va chez son psy. Il explique qu’il est homosexuel et raconte : « J’ai toujours pensé que c’était une phase, que ça passerait, mais ça ne passe pas ». Horreur. Ça ne passera donc pas ? Le reste du film, je ne le vois pas. Je suis tétanisé. Au quatrième cercle de l’Enfer. Je serais… gay ?

La journée passait comme un charme ; l’été approchait, les révisions du bac aussi. Avec les copains, nous préférions barboter dans l’eau plutôt que de potasser les cours. Alors ma mère me faisait les gros yeux. « Elle sait ». Ce jour-là, je rentrais des cours, et jetais mon sac sur le lit de ma chambre. Ma mère entra. Elle semblait moins fière que moi de mon 3 en Espagnol. « Qu’est-ce qui se passe, Romain ? Tu sais que tu as le bac à la fin de l’année ? Tu crois que tu vas l’avoir avec des notes pareilles ? » « Ça va, c’est une option, m’en fous, rien à battre ». « Romain, qu’est-ce qu’il se passe ? » Ma tête flancha sur le côté, lestée par ma bestiole, la honte, qui m’accablait depuis tant d’années déjà. Un torrent de larmes retenues tout ce temps se déversa le long de mon visage. « Ça… Ça ne va pas, non ». « Dis-moi ? ». « J’ai peur, j’ai peur que tu me rejettes ». « Jamais ». La cohorte de sanglots étouffait ma voix. « Je crois que j’aime les garçons, maman, mais je ne veux pas être comme ça, je ne veux pas, je t’en prie, aide-moi, je ne veux pas être comme ça ». « Ce n’est pas grave, je t’aime quand même, je vais t’aider ». « J’ai peur que ça ne passe jamais et que je sois comme ça toute ma vie, ça me fait peur, je t’en prie, je ne peux pas vivre comme ça, c’est trop horrible, maman ».

À cet instant, je crois m’être effondré par terre, tremblant de tous mes membres, j’ai dû pleurer encore, j’imagine. Je ne sais pas vraiment. J’ai oublié.

Quelque temps après, ma mère m’a emmené voir un psychologue pour adolescents. Je pensais qu’il allait me « changer », je n’ai jamais su si ma mère fondait le même espoir. Le jour où je suis entré dans son cabinet la première fois, je me suis assis à l’opposé de lui. Il m’a regardé et m’a demandé pourquoi j’étais là. J’ai pleuré. Et j’ai répété mon texte : « Je crois que j’aime les garçons et je ne veux pas vivre comme ça, je vous en prie, changez-moi ». L’homme m’a regardé. Doucement, il a pris son temps, je pleurais sans bruit, un mouchoir roulé en boule dans ma main. « Romain, il faut que tu saches absolument ça : je ne peux pas te changer, personne ne peut. Mais je peux t’aider à t’accepter ».

Ma mère vint me chercher et nous restâmes silencieux tout le chemin du retour. Arrivé dans ma chambre, j’ai pleuré encore et encore, persuadé que j’allais mettre fin à mes jours, la douleur était si forte, insoutenable.

Malgré mon 3 en Espagnol, j’ai eu mon bac. Je suis parti faire des études dans la grande ville. J’ai encore vu l’homme plusieurs fois, c’était douloureux, sa lucidité m’avait détruit et je le détestais intérieurement. Et puis, je suis parti plus loin et il a disparu de ma vie. Je ne me suis pas accepté tout de suite, ça a été une longue lutte, encore aujourd’hui.

De cet homme, je ne sais plus rien. Je me souviens vaguement de sa tête. Mais je n’ai qu’un seul regret : celui de ne jamais pu lui avoir dire « Merci ».

Les Grandes erreurs du marketing (18) : parler de son métier

Dans ma série titanesque des grandes erreurs du marketing, je voudrais m’arrêter aujourd’hui un instant non pas sur une pub foireuse, mais sur un domaine où les gens du marketing sont imbattables : le bullshit talking. C’est quoi le bullshit talking ? C’est donner l’impression que ce qu’on dit est hyper pointu parce qu’on empile tout un tas de mots (anglais) les uns après les autres comme d’autres enfilent les perles. Avec le résultat final que : a. ça ne veut rien dire ; b. tu noies le poisson pour justifier ton salaire à quatre zéros.

J’ai donc lu avec beaucoup d’intérêt l’interview “e-commerce” du directeur marketing d’un site internet qui vous loue des chambres d’hôtel. Cette interview existe, on la trouve sur le web, promis je n’invente rien, et je vais peu commenter, car elle parle d’elle-même. J’ai mis tout de même les passages importants en bleu grâce à un stabilo (mais je pense que plus personne ne sait ce qu’est un stabilo).

Bullshit Talking 1

On s’étouffera déjà dans la question de l’emploi du gérondif “impactant”, anglicisme qui heurte mes oreilles. On se demande pourquoi employer ce mot tout moche, car ce n’est pas comme si on manquait de nuances pour exprimer la même chose en français (au hasard : “la tendance la plus marquante, frappante, influente, forte…”). Mais c’est la réponse qui donne à réfléchir, surtout le premier point qui ne veut absolument rien dire (“plus de frontière online / offline, les brick et mortar”)

Bullshit Talking 2

Purée, mais quelle originalité, mec ! Ça, c’est sûr que citer Apple, c’est vraiment quelque chose d’assez puissant. Je dirais même que c’est impactant. Les deux premières phrases de la réponse, ça passe encore. Mais alors, sans arrogance aucune, le mec s’autopose des questions (“Pourquoi ?”) et y répond avec du bullshit talking de haut niveau avant de préciser sa propre pensée (c’est vrai qu’elle était remarquablement complexe) par une superbe transition “J’entends par là”. Et le plus génial, c’est que la précision faite n’est destinée qu’à embrouiller totalement le lecteur. La réalité, c’est que c’était trop clair et que le mec s’est dit qu’il fallait absolument rajouter une couche de merde avec une phrase imbittable pour donner l’impression de surfer au-dessus des autres.

Bullshit Talking 3

Ou alors, le mec, il fait un bingo avec ses potes : “C’est bon, j’ai placé Apple, ADN, ROI et Tailor Made, j’ai gagné !”. Au passage je ne sais pas si c’est l’auteur de l’interview ou si le gars a vraiment parlé comme ça, mais il manque de nombreux mots de liaison pour que sa dernière phrase veuille dire quelque chose d’un simple point de vue grammatical.

Faut que je me calme, je crois que je suis en train de m’énerver.

Bullshit Talking 4

Le mec a écrit “Tarif garanti” et promet de rembourser la différence. WAOUHOU. En gros, il reprend le slogan de Carrefour dans l’hôtellerie de luxe. Certes, il reconnaît “ne rien inventer”, mais putain, si c’est ça qui lui a permis de “booster son taux de conversion”, alors je vois pas bien à quoi ça sert d’aller dans une école à 15 000 boules l’année comme HEC pour pondre des conneries pareilles. D’ailleurs, je me demande sérieusement si, dans ces écoles, ils ont des cours de bullshit talking : “Comment cacher que vous êtes un tocard en six phrases clés et vingt mots-valises”. Je devrais faire un MOOC, tiens.

Et si quelqu’un a compris la dernière phrase (où le type marque 100kUSD, non mais sérieusement ?), je veux bien qu’il me l’explique. Rien pigé. Pourquoi une seule réponse (surtout aussi nulle que la sienne) ferait un trou dans le budget de l’intervieweur (à moins que le mec attende réellement 100 000 $ pour avoir eu l’idée géniale de rembourser la différence ?). L’intervieweur : “Merci, c’est fini”. Le mec : “Et mes 100kUSD$, y sont où ?”. Le pire, c’est que c’est bien possible…

PS Je tiens à préciser que je n’ai rien contre ce monsieur, j’ai juste une dent contre le cliché qu’il représente.

L’impitoyable jury des villages fleuris

À chaque fois que je rentre chez moi, j’ai l’occasion de voir ce super panneau devant l’entrée de la ville de proche banlieue de Paris qui m’accueille pour dormir à l’intérieur de ses frontières, moyennant la ponction de mes maigres économies pour m’y acheter un appartement et y payer les taxes d’habitation et foncière associées. Disais-je donc, je vois ce panneau :

Ville 1 fleur

Et, ne mentons pas, c’est risible. Et c’est risible pour deux raisons.

Première raison : faut-il vraiment se vanter quand on a une fleur sur quatre attribuables ? Est-ce qu’un parent sensé magneterait (du verbe magneter, v.i. du premier groupe : qui colle quelque chose sur un réfrigérateur grâce à un magnet ou un aimant décoré) le dernier devoir de math de son gamin si la note était de 5/20 ? Non, je demande.

“Bravo, Junior, c’est super bien 5/20, on va le magneter sur le frigo et je vais le montrer à tous mes amis, parce que franchement, c’est la classe !”.

Obviously not. (Je sais pas, en ce moment, j’ai pas envie d’écrire très français, une dérive sûrement due à mon passage dans la presse d’enculeurs de mouche).

Oui, vous allez me dire : “Non, mais t’es con ! C’est super déjà une fleur. Est-ce que tu reproches à un mec qui a une étoile au Michelin de l’arborer fièrement sur la devanture de son restaurant !”. Vous avez raison. Mais si mon premier argument vous laisse de marbre par son évidente mauvaise foi, permettez-moi dans ce cas de vous présenter le suivant.

Seconde raison : en admettant que “WOUAHOU, UNE ÉTOILE, C’EST SUPER !”, reconnaissez que dans le paysage urbain des banlieues parisiennes où le béton a remplacé la moindre trace de verdure, UNE étoile pour n’importe quelle ville qui fait le tour du périphérique, c’est de la véritable connerie. Si je devais faire une comparaison qui vous soit accessible, je dirais que c’est comme si les Mc Donald’s avaient une étoile au Michelin ou une toque au Gault & Millau. Là où j’habite, il y a un parc absolument dégueulasse sous l’autoroute et un autre parc plus joli (toutes proportions gardées) avec des allées bétonnées, la pelouse étant bien sûr interdite. Il est minuscule, et il est fermé après 16 heures.

Conséquence de mes réflexions, je suis allé voir comment étaient attribuées ces fameuses étoiles. Il y a donc tout un protocole qui a l’air bien chiant pour qu’un inspecteur vienne visiter votre ville ou village et cet inspecteur attribue des notes sur des critères établis par je ne sais qui, mais on s’en fout.

Ce qui est marrant, c’est qu’on peut accéder à la liste des critères. Ce que j’ai fait. Et c’est très intéressant.

Il y a 6 points différents, et grosso modo, le juge attribue une note : “Inexistant / Initié / Réalisé / Conforté”. Exemple (c’est petit, mais tu peux cliquer d’ssus) :

Grille 1

Ou :

Grille 2

Mais, plus étonnant, pour certains critères, même si le juge considère que c’est “inexistant”, la ville a QUAND MÊME le droit à une étoile. Genre, t’as pas répondu à la question, mais t’as un point de toute façon. Je sais pas pourquoi. Ça ne fait aucun sens. Et c’est ça sur quasiment un critère sur deux. Ce qui veut dire qu’en gros, tu n’as pas une plante dans ta ville, mais tu peux quand même avoir le Graal de la première étoile :

Grille 3

Pas de diversité ? Pas grave, une étoile ! Pas de concertation avec la population, bah deux étoiles, c’est du beau travail de pas l’avoir fait !

Et puis, parce qu’il faut bien aider les villes les plus nulles à espérer avoir une étoile sur l’entrée de la commune, il y a le dernier critère, “pour l’honneur”, qui s’appelle “La Visite du jury”. Trois points sont analysés par l’inspecteur.

Point 1 : la présence d’un élu avec lui. En gros, s’il était tout seul (inexistant ou initié), zéro point. Si un élu était là, une ou deux étoiles ; s’il a payé le repas le midi et le vin, là, c’est trois ou quatre étoiles (si le vin était bon).

Point 2 : organisation de la visite. S’il n’y avait pas de visite, c’est zéro. Si la visite a été “initiée” (y avait des pancartes, peut-être, je sais pas ce que ça veut dire), c’est une étoile. Si elle est “réalisée” (on voit pas comment ça ne pourrait pas être le cas), c’est deux ou trois étoiles. Et si elle est “confortée” (j’imagine que ça veut dire que tout le village a fait une ola à chaque passage de l’inspecteur), c’est 4 points (four points, vier Punkte).

Et point 3 : pertinence du circuit. S’il n’y a pas de pertinence, encore zéro ; si elle est “initiée” (ça passe dans une décharge ?), c’est un point et ainsi de suite :

Grille 4

Évidemment, à la lumière de ces informations fracassantes (jamais révélées par le Canard enchaîné), je ne suis plus vraiment surpris que ma ville ait gagné sa fleur. Je pense même que la maire a dû tenter un pot de vin pour s’en assurer une deuxième, mais l’inspecteur a dû lui faire remarquer que malgré la qualité du déjeuner et du chorizo grillé au thym arrosé de porto, ça risquait de se voir un peu…

Le Secret de la pizza quatre fromages

Ma vie est une longue complainte, depuis le premier cri au sortir du ventre de ma mère, jusqu’à avant-hier où je me suis cogné le petit doigt de pieds sur le montant du lit.

Mais dura lex, sed lex, et malgré le peu d’envie qui m’anime, j’ai décidé de parler de ce problème (dont je pensais avoir déjà parlé, mais en fait, j’ai juste pensé que je l’avais fait, et souvent, quand je pense à quelque chose, j’ai l’impression que je l’ai fait, par exemple, je me lève, et je décide d’aller faire du sport et finalement, quand je me couche le soir, j’ai pas fait de sport, mais comme j’y ai pensé, je me dis : “Pas mal, le sport, aujourd’hui, j’ai bien fait de penser à en faire, j’y retournerai demain”, alors qu’en fait, si vous avez compris mon charabia, j’ai pas fait de sport).

(Depuis que je travaille dans un journal où je dois vulgariser à longueur de journée et expliquer des trucs super simples à des abrutis qui ne comprennent rien, je me dis que j’ai bien le droit d’être incompréhensible quelque part, et cet endroit, c’est ici).

(Après tout, je paie moi-même mon serveur pour héberger mon blog, si j’ai envie de faire des fautes de français, je vois pas pourquoi je devrais m’en empêcher, non, mais sérieux, vous êtes quoi ? des communistes pour faire vos grammar-nazis à longueur de journée ? Get a life, les mecs)

C’est bon ? J’ai perdu mes trois lecteurs ? Bien, continuons.

Chaque été, à la mer, on organise des pizza party (PARRRRRTTTTTYYYYYYY). On s’achète des pizzas et on les mange sur la plage. C’est le mercredi, une fois par semaine. Et on boit du rosé. J’avoue ne pas me souvenir de quand date cette tradition, mais elle aussi vieille que le monde (enfin, que “mon monde” au moins, sauf le rosé, avant je buvais du coca, mais maintenant, je bois du rosé).

À ce stade pas très avancé de l’histoire, il convient de préciser une chose. Je ne bois pas du rosé parce que c’est bon, seulement pour supporter les gens qui m’entourent à ce moment précis de mon existence : la vieille conne de la maison d’à-côté et ses petites-filles “âbsolûûûmaaaaââânt géniâââââles”, l’autre vieille conne qui pue de la bouche avec son petit-fils “qui est difficile, mais le pédiatre m’a dit que c’était un génie”, les enfants des autres qui courent partout, te jettent du sable à la gueule et dont les parents te font : “il est adorable, hein ?”. NON, IL EST PAS ADORABLE TON GOSSE, CE SERAIT UN CHIEN, IL AURAIT UNE PUTAIN DE CHAÎNE ET ON L’EMMÈNERAIT SE FAIRE PIQUER.

Reprenons.

Donc, on est une vingtaine sur la plage et on prend les commandes. Il y a trois types de familles : les pinces qui prennent une pizza pour quatre, les gros qui prennent quatre pizza pour un, et moi qui n’aime pas le fromage “mais sur la pizza, ça va, quand il y en a pas trop” (le chieur).

Et là, c’est SYSTÉMATIQUE, il y a toujours la moitié des gens qui dit : “On prend une quatre fromages ?”. Irrémédiablement, un autre dit : “Ah oui, c’est une bonne idée, mais une pizza, c’est trop, on n’aura qu’à la partager avec quelqu’un, Romain, tu prends quoi ?”. Systématiquement, je réponds : “Une reine”. L’intermédiaire reprend : “Ah bah alors, c’est bon, on prend une reine et une quatre fromages et on la partaaa…”

Je lève la main. Le silence s’impose par la seule présence de mes cinq doigts en l’air. Le ciel s’ombrage. Les parasols se ferment d’autorité. La température s’effondre. Je plisse les yeux, je regarde froidement toute l’assemblée et d’une voix abyssale je tranche : “Mais je ne partage pas”.

“Il est pas commode, ton fils”, dit-on alors à ma mère, “pourquoi qu’il veut pas partager ? Tout le monde, il aime partager, non ? Regarde, ma fille, ma fille ? T’aimes partager ? Pas vrai que tu aimes partager ? Oui ? Eh oui ! Tu vois, tout le monde, il aime” (cette précédente phrase est à lire avec l’accent de Marthe Villalonga, si tu es trop jeune pour connaître, clique ici).

Alors, tel Jésus prenant la main de Marie, sa mère, avant de monter sur les chaffauds (un chaffaud, c’est le mot scientifique de la structure qui forme la croix sur laquelle on grimpe pour se faire crucifier) (true story), je déclame ma prophétie :

“Vous voulez des pizzas quatre fromages. Bande de sots. Chaque fois, vous répétez la même erreur, et vous n’apprenez jamais rien. Comme des chiens en cage, vous cherchez à attraper votre queue, devenant fous de n’y parvenir. Mais vous ignorez tout. Cette crasse indigence qui vous recouvre sera votre tombeau. Voyez. Écoutez ce que je dis. Entendez la prophétie du Prophète. Vous allez acheter des pizzas quatre fromages, mais vous allez vous ruer sur toutes les autres avant. Quand votre estomac sera plein, vous couperez la pizza quatre fromages. Et vous allez en manger une minuscule part, laissant le reste flotter sur les lagunes de votre indifférence”.

– Qu’est-ce qu’il dit ?, répond l’autre débile avec son accent pied-noir.
– I DIT QUE VOUS ALLEZ FAIRE COMME D’HAB, QUE VOUS ALLEZ BOUFFER NOS PIZZAS ET VOS QUATRE FROMAGES À LA CON, VOUS ALLEZ LES FOUTRE À LA POUBELLE, crie-je et m’étrangle-je (oui, c’est fait exprès, ça m’amuse de mal l’écrire).

Les pizzas arrivent. Vingt personnes, douze pizzas, six quatre fromages et MA reine.

On les distribue. J’ouvre mon carton, les autres avec les pizzas quatre fromages commencent à ressembler à des loups affamés, j’entends les conspirations s’ourdir, tel un escadron de moustiques ordonnant une attaque contre une artère fémorale. “J’ai pris une quatre fromages, mais je peux te prendre un morceau de ta paysanne ? Mais tu pourras prendre une part de la mienne avant”.

Les parts de pizza s’échangent, se monnayent même parfois : “j’achèterai un beignet à ton fils demain, si tu me laisses te prendre un croque dans ta napolitaine”.

Le festin s’achève enfin, le rosé a remplacé mon sang dorénavant, j’ai gardé un quart de ma reine. Comme des grosses mouches attirées, leurs yeux globuleux s’approchent de mon carton, c’est la dernière part qui n’est pas une quatre fromages. Des quatre fromages, il y en a encore deux entières que personne n’a touchées. Je les vois, je vais leur baygonner la gueule à ces connasses de mouches.

“Bzzzzzz. Bzzzzzzz. Bzzzzzz. Romain, il t’en reste ? Je peux te prendre ta dernière part ? Non, parce que j’ai pris une quatre fromages, mais j’en peux plus, là”. Je regarde ces grosses mouches. Elles s’approchent, j’ai peur qu’une ne me ceinture avec ses pattes gluantes. Je récolte du sable avec mes mains, je les positionne en cône au-dessus de mes restes. Les mouches s’arrêtent, elles ont peur, elles savent que je suis prêt à tout.

Mes mains s’entrouvrent, le sable glisse le long de ma paume et choit sur la pizza. Je regarde les mouches une dernière fois.

“Plutôt crever”.

Je me lève, je fous du sable encore, je prends le carton, je le déchire en plus petits morceaux qu’une offre de crédit Sofinco reçue par la poste, je jette tout ça à la poubelle, je torche mon verre, je suis bourré, je fais la bise de loin à tout le monde, je monte dans ma caisse, je démarre et en repassant, je lance en bon faux-cul : “Allez ! Bonne soirée ! C’était super ! Et les enfants étaient trop gentils ! On se refait ça la semaine prochaine ?”.

Tas de cons.

La Fnac sans garantie

Il y a peu de temps (c’était hier), je décidai d’aller à la Fnac, cette sympathique échoppe qui vend des biens de consommation aussi divers que des robots ménagers, des bigoudis électroniques, des guides du routard et des DVD de Zumba.

Lorgnant sur un tout nouvel ordinateur portable pour remplacer mon fringuant MacBook de 2008 qui commençait à montrer des signes de fatigue, je vais voir le vendeur et lui tins à peu près ce langage.

– Mon brave monsieur, je souhaiterais vous acheter cet ordinateur de la marque Apple.
– Mais bien sûr, me rétorque le monsieur propre sur lui et bien sous tout rapport. Lequel voulez-vous ? Celui avec 128 Go de disque dur, 256 Go ou 512 Go.
– Celui de 256 Go.
– Bien monsieur.

Tapant alors sur son ordinateur, il finit par me répondre :

Little Britain

“Damned”, me dis-je à moi-même et au vendeur.

– Mais vous voulez pas celui avec 128 Go.
– Bah, que j’y dis, chépatrop. Vous savez, je voulais celui de 256 Go.
– Mais mon brave monsieur, vous vous faites duper par Apple, là. C’est pareil, du kif-kif bourricot ! 128 Go, c’est bien suffisant, vous prendrez un petit disque dur, ce sera super tellement bien et génial.
– Bon, ok, ok. Ça fait toujours 200 euros de moins.
– Eh oui, 200 euros de moins. C’est du super matériel en plus. Bien fini, joli, magique. Ça va multiplier par dix votre productivité.

Il tapote sur son clavier. Retapote et retapote.

– Vous voulez la garantie ?
– Euh… Je sais pas trop.
– Alors, je vais vous dire, c’est vraiment indispensable. Ça coûte 379 euros, et si votre ordinateur tombe en panne, on vous le remplace par un neuf pendant trois ans.
– Mais j’ai déjà une garantie de deux ans avec Apple ?
– Non. Un an seulement chez Apple. Et en plus, vous amenez la machine, il vous la garde six mois et encore s’il vous la rende jamais.

Bon, je sais que la garantie est de deux ans et ayant eu affaire au service clientèle d’Apple, je sais bien qu’il me ment. En plus, l’AppleCare est à 279 euros, 100 euros de moins.

“Non merci, je vais m’en passer”, dis-je avec courtoisie.

Et là, tout s’arrête. C’est limite si je peux plus acheter la machine et le vendeur commence à me prendre la tête.

– Imaginez, monsieur, je dis ça pour vous. Imaginez que votre ordinateur, il tombe en panne. Nous, on vous le remplace direct, sans poser de questions. Vous allez payer 1300 euros une machine, c’est super cher, vous pourriez acheter une machine bien moins chère ! Alors franchement, vous pensez pas que ça vaut l’investissement de la garantie ?
– Bah, ça fait beaucoup de sous.

Il lance son simulateur et m’explique que 30 euros par mois en plus, c’est rien. “Surtout que vous pouvez être sûr que vous allez revenir !”

– Comment ça ? demandé-je. J’ai un MacBook de 2008, j’ai jamais eu un problème.
– Ah oui, mais ça, c’était avant ! Maintenant, les Mac, c’est plus ce que c’était ! C’est de la vraie camelote.
– De la camelote vendue si chère ?
– Les gens les achètent ! Mais je vais vous dire : 57% des machines qu’on vend reviennent en réparation. 57% ! Pas plus tard que la semaine dernière, une étudiante est venue avec sa machine qui était en panne avec tous ses cours dessus. On lui a changé pour une neuve car elle avait pris la garantie, et elle m’a remercié !
– Mais elle a tout perdu alors ?
– C’est pas ça, ce que je veux dire. Ce que je veux dire, c’est que sans la garantie, sa machine, elle pouvait la jeter.
– Pourquoi elle pouvait pas la réparer ?
– Une réparation chez Apple, ça coûte plus cher que de changer de machine, c’est l’obsolescence programmée !
– Non, mais écoutez, ça ne m’intéresse pas.
– Nous, si on fait des garanties, c’est pas pour nous, c’est pour les clients.

Prends-moi pour un gros con pendant que tu y es. Genre “On vend des garanties à perte”.

– Je vous dis non. Mais du coup, j’hésite, est-ce que ça vaut le coup que j’achète si cher une machine qui est si nulle et si peu fiable. Autant que je prenne un truc à 300 euros.
– C’est vous qui voyez.

Bah ça va être vite vu, mec, si tu continues à te la jouer Chevalier et Lasaplès, ta machine, tu vas te la mettre dans le cul, pensé-je intérieurement, seulement parce que je suis poli.

– Ecoutez, je suis désolé, mais je ne veux pas.
– Sinon, il y a la garantie à 195 euros. C’est bris, casse, vol et oxydation. C’est important, ça l’oxydation, surtout quand on s’essuie mal les mains comme certaines ou qu’on sue des doigts ! Je vous mets celle-là ?
– Non.

Il reprend sa table de calcul pour me dire combien ça me fera en plus. Il commence sérieusement à m’agacer…

– Alors, je vous la mets ?
– Non, mais non. Je ne veux pas de garantie.
– Bon. Alors pas de garantie.
– NON.

Ça fait déjà une demi-heure que je suis à la Fnac. J’ai envie de pleurer.

– Le prenez pas comme ça.
– Je le prends comme je veux, monsieur, ça va bien maintenant. Vous me la vendez cette machine que je ne souhaite pas acheter ?
– Sans la garantie alors ?
– Sans la garantie. Désolé.
– Oh, ne soyez pas désolé, ça me fait plaisir, vous savez : je sais déjà que je vais vous revoir. Voici votre papier, passez en caisse et vous pourrez récupérer votre machine au retrait des marchandises.

Je lui arrache le papier des mains. “Merci”, dis-je. Et je me barre.

Inutile de dire qu’à peine avais-je le fameux bon de commande, je me suis empressé de le foutre dans une poubelle.

Paris : les bons plans des frères Karamazov

#Frères Karamazov

Éparpillés aux quatre coins du monde, ce blog est le point de rencontre des six frères Karamazov, qui n’ont jamais perdu le contact. Profondément inspirés par leur culture slave (et six slaves, c’est qu’ils se nettoient), ils décrivent ici les tendances qui enrobent leur quotidien.
Aujourd’hui, nous laissons la parole à Alexeï, le benjamin des six frères, qui nous fait part de ses fascinantes découvertes des lieux les plus inconnus de la capitale française, Paris.

Mon spot secret : Châtelet (Les Halles)

Hi guys !

Comment ça va bien aujourd’hui ? Feelin’ good ? Je vous emmène aujourd’hui dans un lieu plutôt secret et peu connu : Châtelet Les Halles. Ici, sur près de 40 hectares, s’étend tout un quartier de la capitale. On y trouve un parc, une canopée (en cours de construction, stay tuned 😉 ) et un centre commercial avec des boutiques pointues comme la Fnac (qui vend des ventilateurs Dyson, cool 😉 ), H&M (des fringues de qualité à tarif mini 😉 ), Go Sport (des équipements sportifs haut niveau 😉 ) ou bien encore Mac Donald’s (l’inventeur du food truck sans truck 😉 ).

Halles anciennes

Initialement, ce lieu était l’endroit où se pratiquait la vente en gros de produits alimentaires. On appelait ça “Les Halles” parce que les aliments étaient abrités sous des halles. #astuce. Démolies dans les années 70 (et les halles ont été expatriées à Rungis), elles ont laissé la place au Forum (le nom du centre commercial) et à un grand parc au-dessus qui attire toute une faune interlope : danseurs de hip-hop, SDF et toxicomanes.

Pour manger, c’est l’embarras du choix, je vous conseille la rue Montorgueil, assez peu connue à part des vrais parisiens 😉

Pour boire un verre, c’est le choix de l’embarras, ma préférence va au HideOut Chatelet de la rue des lombards. Un lieu totalement typique et un secret spot incredible.

Et pour des rencontres sexy, direction Saint-Denis St, une petite ruelle piétonne tortueuse pleine de charmantes frenchies (mais pas que…) à des tarifs avantageux (-20% si vous venez de ma part 😉 )

Je dois tout de même vous le dire, il y a un truc assez chiant avec ce quartier, c’est qu’il est difficilement accessible. Seuls cinq lignes de métro, deux RER et une cinquantaine de bus vous y emmènent. C’est peu, mais le jeu en vaut la chandelle, surtout les samedis après-midi, où l’on peut déambuler le long des rues avec un million et demi d’autres personnes.

Enjoy my secret spot and if you see me there, say hello 😉 !

Love
Xoxo
Alexeï

Une tranche d’humanité

Si on devait classer l’humanité, juste comme ça juste pour rigoler, on pourrait le faire de tas de façons très rigolotes. On pourrait faire comme le maire de Béziers, suivant la religion, on pourrait faire comme les gouvernements, suivant les frontières, on pourrait faire comme les allergologues, suivant la tolérance au gluten, ou on pourrait faire à ma façon qui consiste à diviser l’humanité en deux grandes catégories : ceux qui survivront à une attaque de morts-vivants et ceux qui deviendront des zombies.

Je dis pas ça parce que la saison de The Walking Dead s’est achevée il y a quelques semaines maintenant. Je dis ça parce que plus je regarde les secondes de ma vie passer à travers les trous de la passoire du quotidien (je crois que j’ai entendu cette métaphore dans un film de Max Pécas, mais j’ai un doute), plus je suis sûr d’un truc : en cas d’attaque de morts-vivants, je vais finir assez rapidement dans la catégorie de ceux qui n’y survivront pas.

Oui, j’arrête un instant cet exposé aride pour vous expliquer qu’on pourrait croire qu’il y a une porosité entre mes deux catégories de l’humanité, ce n’est pas le cas : un survivant qui devient un zombie était de fait dans la catégorie des zombies. Bon, si on veut être pointu, il serait dans une sous-catégorie de ceux qui ont survécu un peu. Mais le résultat ne change pas : au bout du compte, il a succombé sous les dents de morts-vivants féroces et affamés.

(J’attire votre attention sur le fait que le vrai problème des morts-vivants, c’est leur gestion tout à fait problématique des denrées alimentaires : s’ils ne se contentaient pas de la moitié d’un intestin de chaque personne qu’ils tuaient, ils auraient une réserve de nourriture beaucoup plus vaste. Leur méthode qui consiste à tuer le maximum de gens sans prendre le temps de finir toute leur assiette montre une certaine négligence d’un point de vue écologique, et je me demande bien quel genre de Terre les zombies ont l’intention de laisser à nos enfants, je pose la question, le débat est ouvert, Cécile Duflot doit en débattre lors des prochaines questions au gouvernement).

Alors, vous me direz : “Oui, mais si on va par là, qui va dans la catégorie des survivants ?”. Pas grand-monde. Je déconseille aux hommes politiques de chercher à draguer leurs votes, car ça n’assurerait certainement pas une victoire aux prochaines élections. Je dis ça pour toi, François Hollande.

Or, donc et en effet, s’il y a une attaque de morts-vivants, je pense même faire partie des premières victimes. Pourquoi ? C’est une très bonne question. C’est une intuition. Un mec comme moi, gentil, qui invite des SDF à prendre des bains, qui leur offre le gîte et le couvert, qui répand la bonté autour de lui comme McDonald’s l’obésité, qui ouvre chaque jour les portes de son cœur aux autres, qui n’a pas une grande gueule, qui préfère rire de lui que de blesser le voisin, comment pourrait-il s’en sortir ? Et je ne blâme pas là les zombies, car eux, à la rigueur, je les comprends, mais plutôt l’autre frange de la population : les survivants.

Car les vraies raclures, ce sont eux ! Quand on regarde The Walking Dead, on s’en rend bien compte : ce sont tous des psychopathes dotés d’un caractère de cochon, totalement incapables de s’accommoder du “vivre ensemble”. Avez-vous déjà vu une communauté de hippies dans The Walking Dead ? Non. Les survivants se regroupent ensemble, non pas pour s’en sortir, mais uniquement pour s’étriper entre eux.

Et c’est le paradoxe, les zombies, eux, n’ont aucun problème à rester proches les uns des autres. Un instinct grégaire les soude. Donc, honnêtement, si l’humanité se divise vraiment en deux catégories, il vaut bien mieux être dans celle des morts-vivants que des survivants. Question de bon sens. Et si Rick Grimes l’avait compris ainsi que quelques autres, on se faderait pas tous les ans de nouvelles saisons de The Walking Dead de plus en plus poussives.