Vous êtes fan de reco, big data et smart graph pour améliorer votre RIO ? Vous ne jurez que par la sérendipité psycho-cognitive qui sera le salut de votre force de vente ? Vous n’avez rien compris. Pour vendre, il n’y a que deux recettes :
– 1. la flatterie (« Je n’ai plus ce pantalon en 40, mais seulement en 36. Oui, c’est un peu serré et vous avez du mal à respirer, mais regardez votre taille de guêpe. Non, franchement, le 40, ce serait beaucoup trop grand »)
– 2. l’urgence (« C’est le dernier modèle en taille 36 de toute façon, ensuite, on arrête la collection, on brûle le magasin et on part élever des chèvres dans le Larzac, c’est l’opportunité d’une vie, ce pantalon »)
Et à ce jeu de l’urgence, le champion toutes catégories sur Internet, c’est Booking.
L’autre jour (c’était probablement un mardi), je cherchais avec des amis un hôtel à Glasgow début décembre. Glasgow en décembre, que je vous raconte, c’est froid, pluvieux, venteux et mort. Bon, j’exagère un peu, mais c’est quand même pas la destination touristique du moment. On se rend sur Booking pour épouiller les offres. Et là, nous sommes bombardés de messages qui expliquent l’URGENCE de notre situation : les chambres d’hôtel partent comme des petits pains. Ne réfléchissez pas, n’attendez pas : « Forte demande ! » « Dépêchez-vous ! » « Encore une réservation de faite ! » « 60% des hôtels sont déjà réservés pour cette ville ! »… (c’est petit, mais vous pouvez cliquer sur les images) :
C’est simple, je peux voir le nombre de chambres diminuer minute après minute, un peu comme la batterie de mon iPhone quand je l’utilise.
Et le troisième hôtel proposé est déjà complet. Le STRESS. Parce que personne n’a envie de roupiller dans la rue par -12°C.
Bon, évidemment, comme la majorité des gens, on sait très bien que Booking se fout de notre gueule. Il n’empêche que l’angoisse de ces pop-up et messages en permanence est vite contagieuse.
Mais comme on est plus fort que le système, on n’a rien réservé. YOLO.
En revanche, pour rigoler, on a tenté plein d’autres destinations et validé notre hypothèse que le troisième hôtel est systématiquement complet (à quoi ça sert de nous informer qu’un hôtel est complet ? à nous faire PEUR !). On tente Lyon pour mars prochain. Bingo : « Établissement réservé 18 fois ces quatre dernières minutes, dépêchez-vous, plus qu’une chambre de disponible, après ce sont des tréteaux dans un gymnase ». Troisième hôtel complet.
Je cherche le top 10 des villes les plus dangereuses au monde. Au hasard, je prends Ciudad Juárez au Mexique :
« Plus que 5 disponibles sur notre site ! ». Et le troisième hôtel… Bah complet, bien sûr.
On se met alors à chercher la pire ville au monde. Et l’un de notre groupe débusque un bled dont je n’avais même pas idée de l’existence : Norisl’k en Sibérie. Et Norisl’k, je vous l’assure, c’est vraiment pas l’endroit où vous iriez faire la fête (les citations en italiques proviennent de la page Wikipedia)
Norilsk a été fondée parallèlement au Norillag, une branche du Goulag.
Située au nord du cercle polaire arctique, elle est considérée comme la ville de plus de 100 000 habitants la plus septentrionale et la plus froide du monde.
La ville et son complexe industriel polluent autant que la France entière.
100 000 hectares de toundra, sur un rayon de 30 km autour de la ville, sont brûlés par les pluies acides et les émanations toxiques. L’herbe y pousse très peu et les arbres sont desséchés. Les poisons industriels s’insinuent partout. En été, quantité de baies sauvages (mûres, myrtilles, cassis, groseilles…) et de champignons poussent, mais sont chargés en métaux lourds.
En 2015, 7 % des immeubles de la ville sont insalubres, et certains s’émiettent, mais près de 1 200 familles y vivent toujours.
En janvier, la température maximale moyenne est de -23,6°C.
Mais si vous voulez réserver un hôtel cet hiver pour l’une des trois bonnes raisons inventées proposées par Booking (« Musée, nature, balade à la campagne », balade aux métaux lourds ?), n’attendez plus !
Bref, pour faire du chiffre, amis du marketing, arrêtez de croire qu’il faut du big data et des algorithmes compliqués. Il suffit juste d’effrayer les gens : foutre des messages d’alerte à tout va, afficher au hasard trois hôtels dont un complet, et paf, vous devenez le numéro 1 dans votre domaine. Chapeau, Booking !